Malgré plus de 15 ans d’existence, la rupture conventionnelle continue d’alimenter le contentieux prud’homal alors que sa nature consensuelle avait justement pour objectif de réduire les actions judiciaires portant sur la rupture du contrat de travail. Il semble que la nécessité d’une volonté concomitante et non viciée des parties soit parfois oubliée, ce qui génère des actions en nullité.
Un arrêt de la Cour de cassation du 19 juin 2024 constitue une nouvelle illustration d’une rupture conventionnelle conclue en présence d’un vice du consentement mais, pour une fois, invoqué par un employeur.
La rupture conventionnelle est un mode de rupture très apprécié depuis sa création et ce, pour plusieurs raisons.
Du côté de l’employeur, lorsque le salarié ne convainc plus ou qu’un poste devient une charge, elle permet de mettre un terme au contrat en évitant le risque contentieux d’un licenciement insuffisamment motivé.
Du côté du salarié, une volonté de reconversion, un poste dont le salarié estime avoir fait le tour, un management peu apprécié ou une envie de changement sont autant de raisons de solliciter une rupture conventionnelle. Ce mode de rupture rassure puisqu’il donne droit à une indemnité de rupture et permet de bénéficier de l’indemnisation chômage dans les conditions de droit commun.
Pourtant, malgré des atouts indéniables, la rupture conventionnelle vient encore de faire la une de l’actualité sociale. Pour quelles raisons un mode de rupture du contrat de travail ayant justement la particularité de se fonder sur un accord peut-il aboutir à un contentieux ?
Comme souvent en droit du travail, la réponse à cette question se trouve dans le texte définissant la rupture conventionnelle.
« La rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties (…) Elle est soumise aux dispositions de la présente section destinées à garantir la liberté du consentement des parties » (1).
La liberté du consentement est définie par le code civil, selon lequel l’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes (2).
En présence d’un vice du consentement, le contrat signé est frappé de nullité (3). En matière prud’homale, la nullité de la rupture conventionnelle est donc invoquée dès que l’une ou l’autre des parties estime avoir accepté la rupture conventionnelle par erreur, tromperie ou violence.
Lorsqu’elle est invoquée par le salarié, la nullité de la rupture conventionnelle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ainsi, la Cour de cassation a déjà estimé qu’un employeur qui avait sanctionné sa salariée à plusieurs reprises et l’avait suffisamment dévalorisée pour que cela ait un impact sur sa santé, a bien exercé sur elle des pressions visant à ce qu’elle accepte la voie de la rupture conventionnelle. Dans cette hypothèse, la rupture conventionnelle a donc été annulée à la demande de la salariée (4) et l’employeur a été condamné à verser toutes les indemnités dues en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le contexte, le climat social et les circonstances dans lesquels est signée une rupture conventionnelle sont essentiels pour déterminer si la nullité est encourue. Même s’il n’est pas interdit de conclure une telle rupture dans un contexte conflictuel, voire en présence de sanctions disciplinaires récentes, la prudence est conseillée. En effet, conclure une rupture conventionnelle alors que le salarié est mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable à un licenciement pour faute grave a déjà été jugé comme constituant une mise sous pression entrainant sa nullité (5).
La nullité de la rupture conventionnelle n’est cependant pas facile à obtenir, le vice du consentement devant être démontré. Ainsi, la Cour de cassation a eu l’occasion de rejeter la demande d’un salarié qui estimait avoir subi une forme de pression dans la mesure où l’employeur lui avait donné le choix entre la rupture conventionnelle de son contrat ou un « licenciement pour faute grave, voire lourde » (6). En l’espèce, l’employeur pouvait licencier son salarié pour faute grave en raison de son refus réitéré de porter ses équipements de sécurité, mais il avait choisi de lui laisser le choix. La Cour de cassation a donné raison aux juges d’appel et estimé que donner le choix au salarié lui était favorable dans la mesure où cela lui garantissait une indemnité de rupture, il n’y avait pas eu de pression ou de violence à l’égard du salarié, la nullité de la rupture conventionnelle n’était donc pas encourue.
Rares sont les employeurs qui remettent en cause la rupture conventionnelle qu’ils ont signée. Les vices du consentement peuvent affecter chaque partie à un contrat mais, du fait de sa situation de professionnel, l’employeur y est naturellement moins exposé.
Pour autant, la Cour de cassation a été récemment saisie du recours d’un salarié dont la rupture conventionnelle a été annulée à la suite de l’action de son ancien employeur. Cet arrêt nous apporte des informations précieuses sur ce qui peut constituer un dol de la part d’un salarié qui sollicite une rupture conventionnelle.
Dans cette affaire, l’employeur accepte la demande de rupture conventionnelle faite par un responsable commercial souhaitant opérer une reconversion professionnelle dans le management. Quelques mois après la rupture, l’employeur apprend que son ancien salarié a créé une société concurrente en s’associant avec deux anciens salariés du groupe. Après investigations, il découvre que le projet de création de cette entreprise est antérieur à la demande de rupture conventionnelle bien que l’immatriculation de la société ait eu lieu des mois après la rupture.
Au vu de tous les éléments apportés, les juges du fond concluent à une rupture conventionnelle viciée puisque l’employeur a été trompé par le salarié.
Si le dol est défini comme le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges, il est également constitué par la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie (7). C’est évidemment sur la dissimulation de ces réelles intentions à la suite de la rupture conventionnelle que le salarié a vu son action rejetée. S’il avait effectivement l’intention de se former en management, il savait pertinemment que son projet de création d’une entreprise concurrente avec d’anciens salariés de l’entreprise, s’il avait été connu de l’employeur, aurait conduit ce dernier à refuser une rupture conventionnelle.
Le salarié aurait dû démissionner. En choisissant la voie de la rupture conventionnelle en trompant son employeur sur ses réelles intentions, il s’est en effet exposé à de lourdes conséquences dont il n’avait sûrement pas connaissance à l’époque des faits, la Cour de cassation n’ayant jamais statué sur les conséquences de la nullité d’une rupture conventionnelle imputable au salarié.
Si la nullité de la rupture conventionnelle emporte les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsque le vice du consentement est imputable à l’employeur, lorsque la nullité est imputable au salarié, elle emporte les effets d’une démission.
Le salarié dont la rupture conventionnelle est annulée est donc condamné, outre les dépens attachés à la procédure judiciaire, à verser à son ancien employeur l’indemnité de rupture conventionnelle qu’il a reçue et une indemnité pour compenser le préavis qu’il n’a pas exécuté.
Si cette affaire est l’occasion d’appeler les salariés à la prudence lorsque leur départ s’accompagne d’une volonté d’activité concurrente, elle suscite des questions sur l’étendue de l’obligation de transparence à laquelle le salarié se trouve soumis. Lorsqu’il souhaite engager des pourparlers en vue d’une rupture conventionnelle, le salarié doit souvent expliquer ses raisons et ses projets, la Cour de cassation semble lui imposer une grande transparence puisqu’elle condamne la rétention dolosive d’informations décisives. Mais n’est-ce pas finalement un rappel de l’obligation de loyauté qui prévaut tant que le contrat de travail est en cours ? Dans ce cas, toutes les informations de nature à éclairer l’employeur dans sa prise de décision doivent lui être révélées.
Cet arrêt est aussi l’occasion de rappeler aux employeurs qu’ils ne sont pas démunis une fois qu’ils ont consenti une rupture conventionnelle. S’ils s’estiment dupés, ils peuvent exercer une action en réparation du préjudice que cela leur a causé.
(1) Article L. 1237-11 du code du travail.
(2) Article 1130 du code civil.
(3) Article 1131 du code civil.
(5) Arrêt du 16 septembre 2015.
(6) Arrêt du 15 novembre 2023.
(7) Article 1137 du code civil.