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Après la commission mixte partiaire qui s’est déroulée, mardi 8 juillet, le Sénat a adopté hier définitivement le projet de loi transposant les accords nationaux interprofessionnels en faveur de l’emploi des salariés expérimentés, de l’évolution du dialogue social et des transitions professionnelles.

Les sénateurs ont enrichi le texte avec un amendement visant à préciser, dans l’article 12 du texte, le pilotage des fonds pour le financement du projet de transition professionnelle (PTP). Concrètement, l’amendement prévoit que France compétences transfère à l’association paritaire, Certif Pro, les crédits pour la prise en charge du projet de transition professionnelle. Ce transfert sera effectif au 1er janvier 2027.

Cette association sera chargée de déterminer les règles, critères et priorités de prise en charge des projets ainsi que la répartition des fonds entre les commissions paritaires interprofessionnelles régionales.

Une autre étape reste toutefois à franchir avant son adoption définitive : le texte doit encore être examiné par les députés. Cet examen devrait avoir lieu à la rentrée, la session extraordinaire du Parlement se clôturant aujourd’hui.

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Anne Bariet
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Mardi 8 juillet en soirée, la commission mixte paritaire (CMP) a trouvé un terrain d’entente sur le projet de loi transposant dans le code du travail les accords conclus entre patronat et syndicats sur l’emploi des seniors, les reconversions professionnelles et les élus du personnel.

Reconversions professionnelles

C’est le volet sur les transitions professionnelles qui a subi le plus de retouches. Le texte adopté porte les traces d’une intervention des organisations patronales et syndicales. Le 3 juillet, ces dernières – à l’exception de la CGT –  avaient adressé un courrier au Premier ministre François Bayrou. Leur message était sans ambiguïté : toute « remise en cause, même partielle » de leur accord constituerait « un contre-signal important » et contredirait les engagements répétés du chef du gouvernement concernant le respect des accords nationaux interprofessionnels.

« Cet accord est un fait trop important pour être minoré, ou que le résultat soit remis en cause », insistaient les signataires, manifestant une rare unanimité face aux tentatives parlementaires de modification de leur texte.

Cette mobilisation n’aura pas été vaine. Par rapport à la version adoptée à l’Assemblée nationale le 3 juillet, le texte de la commission mixte paritaire accorde une place plus importante à l’instance paritaire nationale, Certif’Pro, et donc aux partenaires sociaux, côté gouvernance. Cette structure, composée de représentants syndicaux et patronaux, voit, en effet, ses prérogatives élargies, selon l’article 12.

Au-delà de l’animation et de la coordination du réseau des commissions paritaires interprofessionnelles régionales, cette instance se voit confier la définition des orientations nationales en matière de financement des transitions professionnelles. Elle déterminera les règles, critères et priorités de prise en charge des projets, ainsi que la répartition des fonds entre les commissions régionales.

A ce titre, l’article L. 6123-5 du code du travail est enrichi pour leur donner davantage la main sur le financement des projets de transitions professionnelles, notamment en intégrant les fonds correspondant aux droits acquis au titre du compte personnel de formation.

Dans la pratique, le parcours du candidat à la reconversion reste inchangé : son projet est présenté à la commission paritaire interprofessionnelle régionale qui en apprécie la pertinence conformément aux orientations de l’instance nationale. Cette commission instruit la demande de prise en charge financière et autorise la réalisation du projet, sa décision devant être motivée et notifiée au salarié.

Pour encadrer ces missions, une convention pluriannuelle d’objectifs et de moyens sera conclue entre l’instance paritaire nationale et l’Etat. Ce document, qui sera rendu public lors de sa signature et de son renouvellement, précisera les modalités de financement, le cadre d’intervention et les objectifs attendus. Un décret viendra ultérieurement détailler le contenu, la périodicité et les modalités d’évaluation de cette convention.

Des assouplissements sur l’emploi des seniors

Le volet consacré aux salariés expérimentés a également fait l’objet de retouches. L’article 2 du projet de loi maintient l’obligation de négocier sur cette question au niveau des branches professionnelles et des entreprises d’au moins 300 salariés, mais la commission mixte paritaire est revenu au texte d’origine.

Les sénateurs avaient souhaité que la santé au travail et la prévention des risques professionnels d’une part, l’organisation et les conditions de travail d’autre part constituent des thèmes obligatoires de négociation. La CMP est revenu au texte d’origine, ces thèmes étant simplement facultatifs.

Concernant le contrat de valorisation de l’expérience, dispositif expérimental prévu pour cinq ans après la promulgation de la loi, les conditions d’éligibilité sont de nouveau celles prévues par le gouvernement (et entérinées par le Sénat). Ainsi, l’article 4 prévoit qu’il suffira de ne pas avoir été employé dans l’entreprise ou son groupe au cours des six mois précédents, contre deux ans dans la version des députés.

Les autres points tranchés

La CMP, à la lecture des deux versions parlementaires, a également décidé : 

  • que l’employeur ne pourra pas avoir accès aux données de santé à l’issue de la visite médicale de mi-carrière du salarié afin de préparer l’entretien de parcours professionnel (en commission des affaires sociales, les députés avaient envisagé que l’employeur n’ait pas accès à toutes les informations issues de la visite médicale de mi-carrière) ; 
  • qu’en cas de refus par l’employeur du passage d’un salarié en retraite progressive, les justifications liées aux conséquences de la réduction de la durée de travail sollicitée sur la continuité de l’activité de l’entreprise ou du service ainsi que des tensions de recrutement sur le poste ne seront pas exhaustives, la CMP ayant conservé l’adverbe « notamment »
  • enfin la CMP a avalisé l’introduction d’une partie de l’avenant finalisé par les partenaires sociaux sur le bonus-malus afin de lui donner la base légale nécessaire (le 1° de l’article L.5422-12 du code du travail est complété afin d’ajouter dans les motifs de fin de contrat exclus du calcul du taux de séparation d’une entreprise les licenciements pour inaptitude d’origine non professionnelle et les licenciements pour faute grave ou faute lourde). 
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Anne Bariet et Florence Mehrez
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Les députés et sénateurs sont parvenus, mardi 8 juillet, à un accord en commission mixte paritaire sur la transposition de trois accords sur l’emploi des seniors, les reconversions professionnelles et les élus du personnel. Le Sénat doit adopter définitivement le texte aujourd’hui.
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Pour rappel, seule la faute lourde commise à l’occasion de l’exercice du droit de grève peut justifier un licenciement ou une sanction disciplinaire du salarié gréviste (article L.2511-1 du code du travail ; arrêt du 16 décembre 1992). Le cas échéant, la charge de la preuve de la faute lourde incombe à l’employeur, rappelle ici la Cour de cassation.

L’employeur sanctionne des salariés grévistes ayant bloqué la porte d’entrée de l’entreprise

En l’espèce, un mouvement de grève a eu lieu au sein d’une entreprise. L’employeur reproche à plusieurs salariés grévistes d’avoir à cette occasion empêché un camion de sortir de l’usine en se mettant devant le portail et empêché les salariés non-grévistes de travailler. L’employeur les sanctionne par une mise à pied disciplinaire.

► L’entrave à la liberté du travail peut constituer une faute lourde (arrêt du 15 mai 2001 ; arrêt du 22 novembre 2023).

Les salariés, et le syndicat CGT ayant formé une intervention volontaire en cause d’appel, réclament notamment en justice l’annulation de ces mises à pied disciplinaires. Ce syndicat fait valoir que si certains salariés grévistes ont bien obstrué l’entrée principale du site, celui-ci dispose d’un second accès par lequel les camions auraient pu entrer et sortir et produit à ce titre une photo d’une vue en hauteur de la société.

La cour d’appel rejette leurs demandes. Elle estime que le syndicat ne rapporte pas la preuve que le second accès de l’entreprise était effectivement accessible et avait pu être utilisé par les salariés non-grévistes pour faire entrer et sortir les camions du site le jour de la grève.

Salariés et syndicat contestent l’arrêt d’appel. Pour eux, il incombait à l’employeur de rapporter la preuve que les salariés grévistes avaient commis une faute lourde à l’occasion de la grève en entravant la liberté du travail des autres salariés et en désorganisant l’entreprise.

Il revient à l’employeur de prouver que tous les accès à l’entreprise étaient bloqués

La Cour de cassation saisie du litige censure l’arrêt d’appel, au visa des articles L.1132-2, L.1134-1 et L.2511-1 du code du travail. Pour la Cour de cassation, il résulte de ces textes qu’un salarié gréviste ne peut être licencié ou sanctionné, à raison d’un fait commis au cours de la grève à laquelle il participe, que si ce fait est constitutif d’une faute lourde dont la preuve incombe à l’employeur.

Elle en déduit que, la cour d’appel ayant constaté que les sanctions avaient été prononcées en raison d’un fait commis au cours de la grève, il revenait à l’employeur de les justifier par une cause étrangère à l’exercice normal du droit de grève constitutive d’une faute lourde. L’employeur aurait donc dû démontrer l’inacessibilité totale au site entravant l’activité de l’entreprise. Ici, les juges du fond ont inversé la charge de la preuve, conclut la Cour de cassation.

► Il a déjà été jugé que le blocage d’un camion par des salariés grévistes ne justifie pas un licenciement pour faute lourde dès lors qu’il n’y a pas eu d’entrave au travail des salariés non-grévistes ou de désorganisation de l’entreprise (arrêt du 9 mai 2012). De même, si l’occupation des locaux d’une entreprise se déroule sans entrave à la liberté du travail, ni blocage de la porte d’entrée, la faute lourde ne peut pas être retenue contre les salariés grévistes (arrêt du 16 mai 1989).

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Farah Nassiri
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Lorsque l’employeur a sanctionné des salariés grévistes en raison du blocage de la porte d’entrée de l’entreprise, il lui appartient en cas de contentieux de démontrer l’inaccessibilité totale du site. Les salariés ou syndicat n’ont donc pas à prouver qu’il y avait d’autres accès possibles à l’entreprise.
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La branche des sociétés d’assurance vient de renouveler pour une période indéterminée son accord sur le télétravail, le 27 juin 2025. Conclu avec quatre organisations syndicales (CFDT, CFE-CGC, CFTC et Unsa), l’accord du 7 décembre 2021 était arrivé à échéance. L’accord concerne les 260 entreprises d’assurances adhérentes de France Assureurs et couvre environ 160 000 salariés.

L’accord contient plusieurs mesures concrètes :

  • au moment du passage en télétravail, une période d’adaptation de trois mois est aménagée afin que l’employeur et le salarié puissent se rétracter, sous réserve d’un délai de prévenance de 15 jours ;
  • en cas de refus d’accorder le télétravail, l’employeur doit motiver sa réponse dans les 30 jours ;
  • les entreprises peuvent augmenter le forfait télétravail exonéré de charges sociales jusqu’à 13 euros par mois pour un jour de télétravail par semaine, au lieu de 10 euros. 

Des formations peuvent être proposées aux managers afin de renforcer leurs pratiques managériales dans un contexte de travail à distance. Des formations peuvent également être proposées aux salariés : présentation du dispositif de télétravail applicable dans l’entreprise, conditions de réussite de ce mode d’organisation du travail, principes de fonctionnement d’équipe, utilisation des outils de communication à distance, déconnexion et respect de la vie privée, risques du télétravail (importance de l’ergonomie du poste de travail, troubles musculo-squelettiques, risques psychosociaux…), gestion du temps, sécurité des données, cybersécurité…

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Florence Mehrez
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Chronique

En période de transformation, les entreprises investissent massivement dans la technologie, les processus, le pilotage stratégique. Mais un élément essentiel est trop souvent relégué au second plan : l’humain, et en particulier, les talents déjà présents dans l’organisation. Or, c’est souvent dans ces ressources internes que se trouve la clé de voûte d’une transformation réussie. La mobilité interne n’est pas une simple pratique RH : c’est un levier de résilience, d’engagement et d’alignement stratégique.

La transformation d’une entreprise passe d’abord par la reconnaissance de ses propres forces vives. Et cela commence par un changement de regard : ne plus penser en termes de « besoins à pourvoir », mais de potentiels à révéler.

Transformation et mouvement : une équation naturelle

Quand une entreprise se transforme – qu’il s’agisse de digitalisation, d’évolution de son business model, d’intégration post-fusion ou de changement d’organisation – elle doit faire face à une instabilité temporaire. Les repères bougent, les rôles évoluent, les attentes managériales changent. Dans ces moments, la tentation est grande d’aller chercher des compétences toutes faites à l’extérieur.

Mais cette logique a ses limites. Elle peut envoyer un signal d’insécurité aux équipes en place : « ce que vous êtes ne suffit plus ». Elle peut générer un turnover inutile, et elle rate souvent sa cible : la transformation doit venir de l’intérieur, pour être comprise, appropriée, et durable.

C’est ici que la mobilité interne entre en jeu : non pas comme un simple outil RH, mais comme un moyen de réengager les collaborateurs dans le projet collectif.

Exemple concret : une PME industrielle en mutation numérique

Une PME industrielle de 300 salariés, a entamé un virage numérique ambitieux : automatisation de la production, digitalisation de la relation client, nouvelles compétences IT. La direction envisageait de recruter massivement à l’extérieur.

Autre chemin possible : cartographier les compétences internes non pas en fonction des postes, mais en fonction des appétences, capacités d’évolution et soft skills.

Résultat : parmi les opérateurs de ligne figurait une collaboratrice autodidacte passionnée par le code, qui formait déjà ses collègues à Excel avancé. Elle a été formée au développement d’outils métiers internes – et joue aujourd’hui un rôle clé dans la digitalisation du site.

Ce type de réussite n’est pas une exception : c’est souvent le fruit d’un regard neuf porté sur les talents en place.

Ce que permet vraiment la mobilité interne :

  • réduire les coûts de recrutement ;
  • recruter en externe est long, incertain, et coûteux. Miser sur des collaborateurs internes déjà acculturés, c’est gagner en agilité ;
  • sécuriser les parcours et fidéliser ;
  • proposer une mobilité, c’est envoyer un message fort : « Tu as ta place dans le futur de l’entreprise ». Dans un contexte de tension sur les talents, c’est une stratégie de fidélisation puissante ;
  • aligner les compétences sur les besoins futurs. La transformation implique souvent des rôles émergents ou hybrides. Qui mieux qu’un collaborateur déjà en poste, formé et accompagné, peut les occuper avec efficacité ?
  • faire vivre la culture d’entreprise dans le changement. Un nouveau collaborateur mettra du temps à s’approprier la culture. Un salarié mobile incarne déjà les valeurs et les codes de l’entreprise, et peut en devenir un ambassadeur du changement.
Les freins à lever pour activer la mobilité interne

La mobilité interne est encore trop souvent perçue comme un plan B ou un parcours du combattant. Pour la rendre pleinement stratégique, il faut lever plusieurs verrous :

  • le cloisonnement organisationnel : les silos empêchent de voir les talents au-delà du périmètre d’un service ;
  • le manque de transparence sur les opportunités : sans visibilité, les collaborateurs ne peuvent pas se projeter ;
  • des managers frileux à « lâcher » leurs talents : la culture du talent partagé doit se construire collectivement ;
  • l’absence d’outils de cartographie dynamique des compétences : ce pilotage est encore trop rare dans les PME et ETI.

Concrètement, plusieurs étapes sont nécessaires pour poser les bases d’une politique de mobilité active et structurée : définition de critères d’éligibilité, mise en place de comités de mobilité, accompagnement RH, formations, coaching, mais aussi narration interne pour valoriser les parcours.

Mobilité et transformation : un binôme indissociable

La transformation n’est plus un état d’exception : elle est devenue la norme. Dès lors, la mobilité ne peut plus être un dispositif accessoire. Elle devient un outil d’adaptation continue, un facteur de résilience organisationnelle, et un levier d’engagement durable.

Dans une économie où les compétences techniques évoluent vite, c’est la capacité à apprendre, à évoluer, à oser qui fait la différence. Et cette capacité, les entreprises la trouvent d’abord chez celles et ceux qui les connaissent déjà de l’intérieur.

Conclusion : transformer avec et non contre son capital humain

Plutôt que de considérer la transformation comme un moment de rupture, considérons-la comme une opportunité de faire éclore des potentiels inexploités. La mobilité interne n’est pas un luxe ou une contrainte, mais une réponse stratégique à la complexité du monde du travail.

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Geoffrey Fournier, Victoriam RH
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Dans cette chronique, Geoffrey Fournier, président-fondateur du cabinet de conseil Victoriam RH, invite les DRH à reconsidérer leur approche de la mobilité interne. Loin d’être un plan B, cet outil constitue, selon lui, un levier stratégique pour favoriser l’engagement des salariés et consolider l’adhésion au projet d’entreprise.
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Geoffrey Fournier
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Dans un rapport sur l’intelligence artificielle (IA), l’Institut national de recherche en sciences et technologies numériques (Inria) et le club Datacraft pointent le fait que si les salariés bricolent eux-mêmes avec l’IA, c’est souvent faute de mieux dans leur entreprise ; certes, ils participent à une forme d’innovation et de recherche de performance, mais ce faisant, ils peuvent aussi prendre des risques et en faire prendre à leur organisation. Aussi faut-il dépasser ces pratiques.

Des grands discours mais des outils peu adaptés

L’arrivée de ChatGPT d’OpenAI à l’automne 2022 a démocratisé l’usage de l’intelligence artificielle. Dès 2023, 18 % des employés français utilisaient l’IA générative au travail, plus de la moitié d’entre eux le faisant en dehors d’un cadre défini par les employeurs.

Si les usages informels de l’IA sont si présents dans les sociétés étudiées (1), si les salariés « bricolent » autant dans leur coin, c’est d’abord parce que les entreprises ont du mal à passer des grands discours sur l’IA aux actes. C’est-à-dire à transformer des ambitions stratégiques sur l’intelligence artificielle en usages réels sur le terrain découlant d’une véritable politique « d’industrialisation de l’IA ». Et lorsque ces projets IA d’entreprise sont industrialisés (dans 20 % des cas seulement), ils ne concernent pas tous les métiers ni ne sont en prises avec le travail réel. Ces projets sont construits d’en haut, dans une logique gestionnaire de rationalisation, d’automatisation et de standardisation. « Ce décalage provoque une forme de rejet ou d’indifférence des professionnels, qui peinent à voir l’utilité ou la légitimité de ces outils dans leur contexte », écrit l’Inira.

Aussi les salariés font-ils leur propre cuisine pour développer des usages correspondant à leurs besoins réels, qu’il s’agisse de traduire un texte, de mieux le structurer, de faire une veille, de reformuler un mail ou de chercher des idées.

Ils n’en parlent pas à leur hiérarchie, mais testent et expérimentent à leur niveau. Comme les Shadoks sachant pomper, le « savoir prompter » devient une compétence-clef.

 

Deux témoignages sur les usages

Elisabetta, commerciale dont le Français n’est pas la langue maternelle :

« Avec ChatGPT, très rapidement, c’était le grand amour. J’écris beaucoup de mails de prospection et de relance à des interlocuteurs variés. Et même si tu écris bien et sans faute, il y a quand même différents types de langage à utiliser pour différents types d’interlocuteurs. On m’avait déjà fait remarquer que mes relances étaient « cavalières » (..) ChatGPT m’a aidé à apprivoiser cette différence culturelle entre l’Italie et la France. J’écris le mail, puis je demande à ChatGPT de le transformer de manière corporate (..) Ce genre d’outils me suggère des modalités de communication qu’en tant qu’étrangère, je n’aurais pas eues ».

Maud, experte-comptable

« Pour la collecte d’informations, très chronophage, ChatGPT me sert de moteur de recherches augmenté (..) Je compare aussi des données d’entreprises de plusieurs pays (..) L’IA fait office de traducteur de normes d’un pays à l’autre, d’un système comptable à l’autre. Je l’utilise aussi pour m’apprendre des choses. Par exemple, j’avais un graphique à produire sur Excel et je ne savais pas comment le faire, et ChatGPT m’a donné en cinq minutes un mode d’emploi. C’est un peu le professeur Nimbus, il sait tout et il me dépanne ». 

 

Le côté obscur de l’IA solitaire

Cet usage solitaire, non encadré et non officiel, traduit une forme « d’ingéniosité professionnelle » : comment puis-je améliorer mon travail moi-même ?  On comprend que nombre d’entreprises n’osent pas s’y opposer.

Mais il pose aussi de sérieux problèmes.

Du côté de l’entreprise, des informations sensibles voire confidentielles peuvent prendre la poudre d’escampette dans des serveurs extérieurs : « 8,5 % des invites soumises aux outils de génération IA contiennent des données sensibles, soit un prompt sur 12 », selon une étude de fin 2024 d’Harmonic Research.

Exemple de ces risques : demander à l’IA de reformuler un mail commercial en indiquant le client et son adresse ; préparer avec ChatGPT une note destinée à une direction, etc. Mais le risque est aussi celui d’une banalisation, d’une dégradation du travail obtenu : « Il est tentant de demander un avis à ChatGPT et de reprendre sa réponse sans réelle analyse. Mais si tout le monde fait ça, pour les appels d’offres et les recommandations, tout finira par se ressembler », dit un professionnel.

D’autre part, les modèles d’IA générative peuvent aussi se tromper et induire les salariés en erreur. Le rapport souligne d’ailleurs l’importance de l’esprit critique pour mieux tirer partie de l’IA. Problème : cette compétence est peu valorisée dans des organisations qui la perçoivent comme négative et nuisible. On rejoint là les carences du management à la française, où la loyauté est vue d’abord comme de l’obéissance.

Du côté des salariés, ces pratiques cachées n’ont pas que des avantages. Elles génèrent « inconfort moral et pression psychologique ». Une culpabilisation liée à la peur de « tricher » et d’être sanctionné. Pour les auteurs du rapport (2), cet usage individualisé peut favoriser la compétition (par exemple : j’ai trouvé comment gagner du temps et je garde cette solution pour moi) et fragiliser la cohésion des collectifs de travail : il empêche la construction de règles partagées autour d’un bon travail sur l’IA. Par exemple, le recours à l’IA peut remplacer les interactions entre collègues, qui se pratiquaient pour relire, échanger ou créer, ce qui affaiblit la circulation des savoirs et donc l’apprentissage collectif. 

Comment dépasser cette situation de « bricolage » ?

Face aux pratiques clandestines de l’IA par les salariés (« Shadow IA »), le rapport identifie plusieurs attitudes de la part d’entreprises, allant d’une forme de permissivité (à droite) ou au contraire d’une forte dissuasion (à gauche), comme on le voit dans le schéma ci-dessous. 

Inria

Mais quelle est la bonne attitude du point de vue de l’entreprise ?

Déjà, « reconnaître l’ampleur du phénomène ». L’Inria préconise de fixer rapidement « des premiers garde-fous avec les directions-métiers ».

Ensuite, favoriser la communication entre pairs pour « favoriser les échanges de bonnes pratiques ». Il s’agit ici de parler des expériences réelles : « Qu’avez-vous réellement obtenu en utilisant l’IA pour cette tâche ? » « Quel écart percevez-vous entre ce que vous attendiez et le résultat apporté par l’IA ? » « Quels critères de qualité de travail souhaitez-vous préserver, adapter ou faire évoluer avec l’IA (exemples : précision, créativité, autonomie, rigueur, etc.) ? » « Dans quelles situations l’IA vous semble-t-elle utile et dans lesquelles devient-elle problématique ou contre-productive (exemples : perte de sens, trop de standardisation, déqualification, etc.) ? »

Faire de l’IA un thème de discussions avec les IRP et les salariés

Enfin, « sécuriser » en rendant accessible « des outils validés » et en « clarifiant les conditions d’usage » dans un cadre légal. Par « cadre légal », les auteurs ne décrivent pas un règlement, mais « un objet de dialogue interfonctionnel et social », d’autant plus légitime « s’il est construit avec les représentants du personnel et nourri par les retours terrain ».

Ce chantier, prévient le rapport, ne doit pas reposer « sur une gouvernance technocentrée », autrement dit être pilotée par une direction fonctionnant en vase clos. 

Pour « mettre le travail au centre » d’une stratégie IA, l’Inria suggère d’associer à la construction de ce cadre les directions informatiques, les métiers de l’entreprise, les directions juridiques, les ressources humaines, les salariés eux-mêmes (qui peuvent être invités à dire comme ils effectuent leurs « meilleurs prompts », c’est-à-dire comment ils rédigent leurs meilleures requêtes pour obtenir une réponse adéquate de l’IA) et les représentants du personnel.

« Les instances de représentation du personnel, dit clairement le rapport, doivent être informées, consultées et associées tout au long du processus, dans le respect du dialogue social technologique ».

 

(1) Le rapport s’appuie sur une enquête qualitative menée auprès de « 14 organisations pionnières » : Airbus, Assurance Maladie, Believe, CHU de Montpellier, Crédit Agricole, Ekimetrics, L’Oréal, MAIF, Malakoff Humanis, Métropole de Montpellier, ministère des Armées, Région Ile-de-France, Skyrock, Veepee. 

(2) L’auteur du rapport est Yann Ferguson, directeur scientifique du LaborIA à l’Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique). Il a coordonné le travail d’Isabelle Hilali, Edouard Havis, Jean-Michel Lefèvre, Laurence Mari, Julia Savali, et Jeanne Godard, cette dernière étant membre de Datacraft, un club de data scientists et d’ingénieurs de 50 grandes entreprises.

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Bernard Domergue
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Sous le nom de « shadow AI », l’Inria s’intéresse aux pratiques clandestines de l’intelligence artificielle par les salariés. Ces pratiques, qui visent l’efficacité et le gain de temps, s’expliquent aussi par l’absence d’outils et de règles adéquats. Les entreprises peuvent sortir de ce « shadow IA » par le haut, et « de façon négociée », en mettant le travail au centre du projet.
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