Prendre acte de la rupture du contrat consiste, pour le salarié, à quitter l’entreprise et à rompre son contrat de travail tout en reprochant à son employeur d’avoir provoqué son départ. Le salarié peut prendre acte de la rupture de son contrat de en cas de manquement suffisamment grave de l’employeur empêchant la poursuite dudit contrat (arrêt du 30 mars, 2010).
C’est alors au juge de prendre position sur l’imputabilité de la rupture. Cette rupture constitue une prise d’acte et produit les effets soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission. Dans un tel litige, l’office du juge du fond consiste à vérifier la réalité de la volonté non-équivoque de démissionner du salarié. Le caractère équivoque de celle-ci propre à faire écarter la qualification de démission ne peut résulter que des circonstances dans lesquelles la démission est intervenue.
Illustration avec deux arrêts du 17 janvier 2024 dans lesquels la Cour de Cassation se prononce sur les demandes de plusieurs salariés tendant à la requalification de leur démission intervenue en cours de procédure en prise d’acte au motif qu’elles étaient liées aux manquements et à la mauvaise foi de l’employeur dans la négociation du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).
Une société engage en 2017 des négociations en vue de la conclusion d’un accord sur le PSE. L’employeur remet aux représentants du personnel et aux syndicats un projet d’accord de PSE le 7 juillet 2017, puis un document unilatéral comportant un nouveau PSE, le 7 décembre 2017. Suite au refus d’homologation du document unilatéral le 12 janvier 2018, un accord collectif majoritaire portant sur le PSE est conclu le 22 mai 2018 et validé par l’administration le 1er juin 2018.
Parallèlement à ces négociations, l’entreprise conclu, en avril 2018, un accord collectif de suspension du contrat de travail des salariés ayant trouvé un emploi extérieur, permettant les départs volontaires anticipés.
Plusieurs salariés ayant démissionné entre le 31 janvier et le 14 mars 2018 pour un emploi auprès d’autres entreprises alors que les négociations du PSE étaient en cours, saisissent la juridiction prud’homale en vue d’obtenir la requalification de leur démission équivoque en prise d’acte produisant les effets de d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ils soutiennent que leur démission résulte des manquements de l’employeur quant aux négociations du PSE et aux négociations tardives de l’accord de suspension des contrats de travail.
La cour d’appel constate tout d’abord que la société avait commis un manquement volontaire dans l’élaboration du PSE sous forme de document unilatéral en ne prenant pas en compte les différentes alertes tant de l’administration que des représentants du personnel, ce qui avait abouti au refus d’homologation le 12 janvier 2017 et conduit à un rallongement considérable des délais d’adoption du plan et de sa mise en œuvre, contraignant les salariés, ayant cherché un autre poste en réaction à l’annonce du PSE dans le courant de l’été 2017, à démissionner avant l’homologation du PSE en juin 2018.
Elle souligne également que le PSE étant en négociation depuis l’été 2017 et alors qu’elle avait prévu le début de la phase des départs volontaires courant janvier 2018, la société a fait preuve de mauvaise foi en n’ayant pas pris en compte les demandes massives de suspension de contrat de travail, qu’elle aurait pu anticiper. Elle retient qu’en refusant automatiquement les suspensions des contrats de travail et en laissant les salariés dans l’ignorance quant aux négociations de l’accord qui sera finalement conclu en avril 2018, la société a délibérément exclu les salariés de ce dernier, les contraignant soit à refuser l’embauche proposée par un autre employeur en attendant l’adoption définitive du PSE, soit à démissionner.
La cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, juge que les manquements de l’employeur dans le cadre de la négociation du PSE sont suffisament caractérisés. Elle a pu, dès lors, retenir qu’ils avaient empêché la poursuite du contrat de travail et en déduire que la prise d’acte des salariés produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La société est donc condamnée à leur payer diverses sommes à titre d’indemnité compensatrice de préavis, d’indemnité conventionnelle de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.