Depuis quelques années, le feedback est devenu une pratique incontournable du manager. Utilisé comme un outil du management bienveillant, il vise à renforcer l’engagement, développer les talents ou encore améliorer la performance. Pourtant sur le terrain, il n’est pas assez utilisé, ou mal utilisé. Dès lors, un écart saisissant apparait entre l’idéal managérial attendu et la réalité quotidienne, bien plus sombre et avec des conséquences souvent contreproductives par rapport à l’effet recherché.
Et pour cause ! Alors qu’une part importante des managers le sont devenus par « accident », c’est-à-dire qu’ils ont été promus en raison de leur performance et non de leur qualité dans les relations humaines, 6 managers sur 10 se sentent démunis dans leurs nouvelles fonctions selon une étude du cabinet Robert Walters de 2024. La raison est simple : les managers reconnaissent ne pas toujours avoir les compétences nécessaires pour gérer l’aspect humain du leadership.
Il est désormais attendu d’eux qu’ils créent de l’autonomie, développent leurs équipes, leur donne un cap dans les tempêtes transformationnelles et incarnent un rôle modèle. Amenés à réfléchir à leurs pratiques quotidiennes, tous les promus managers évoquent des difficultés du type « j’ai du mal à déléguer », « la multiplicité des sujets que je traite entraine une charge mentale importante », « j’ai du mal à gérer la pression », « je ne sais pas comment faire un feedback négatif »… Et ce sans qu’on leur apporte les réponses souhaitées ou à temps.

Ces difficultés ne sont pas isolées, loin s’en faut. Dans un environnement professionnel où les dynamiques de pouvoir créent des tensions, le feedback dysfonctionnel trouve un terreau fertile. Un exemple particulièrement parlant est donné avec Alex qui vient d’être promue manager. Une semaine plus tard, lors d’une réunion présentée comme une « session de co-construction », une directrice l’interrompt et lui assène : « Où sont les supports prêts à être révisés ? Vous n’avez rien préparé ? Même un stagiaire aurait sorti une première version ! ». Reste qu’aucun livrable n’avait été demandé en amont à Alex, qui pensait participer à un échange créatif et coopératif, et non devoir présenter des documents aboutis.

Le feedback punitif n’a pas pour vertu de favoriser l’engagement des salariés. En instaurant un climat de peur, la confiance s’étiole et les managers compromettent le droit à l’erreur. Dans un contexte d’hypertransformation, le manager gagne, au contraire, à endosser un rôle d’éclaireur, en guidant ses équipes à travers les changements et en encourageant l’innovation par l’expérimentation, pour mieux s’adapter aux évolutions.
Comment faire dès lors pour créer une culture du feedback qui soutient la performance des collaborateurs plutôt que les malmener ? Sur le terrain, les managers les plus expérimentés s’appliquent à instaurer un dialogue constructif en questionnant le collaborateur sur sa propre perception vis-à-vis de ses réalisations, pour qu’il enclenche une réflexion personnelle sur ses axes de progrès. Ils font du feedback un outil que le collaborateur peut solliciter lui-même tout au long de l’année. D’autres se donnent une règle, celle du « 1 sur 3 ou 5 » en matière de feedback : un négatif pour trois ou cinq positifs, en fonction des intéressés. La mise en œuvre de solutions exige toutefois une transformation qui doit s’opérer simultanément à trois niveaux : individuel, organisationnel et systémique.
Au niveau individuel, cela passe par le postulat que le manager est là pour mener leurs équipes à atteindre leurs objectifs au service de l’organisation. Le feedback n’est pas une punition, un jugement, une correction, mais plutôt un encouragement au développement de comportements efficients pour l’avenir. Se concentrer sur les comportements vertueux pour la suite aide à rester objectif, orienté résultat et délaisser les attaques personnelles. Il faut insister sur les axes de progression à travailler plutôt que de stigmatiser ce qui ne va pas. Le feedback vise alors à encourager un comportement adéquat, pour le renforcer, ou un comportement nouveau qui ajoutera plus d’efficacité dans le futur. Les formations à la communication non violente, à la gestion du stress, à la délégation et à l’adaptation au changement peuvent aider les managers à mettre en œuvre le feedback notamment dans un contexte de tension.
Ces premières actions, nécessaires, ne sont pas suffisantes et doivent s’accompagner d’une refonte plus fondamentale, notamment en actionnant les deux autres niveaux, organisationnel et systémique.
Au niveau organisationnel, les actions à mettre en œuvre visent à démystifier le leadership. Comment ? En remplaçant l’idéal du manager coach “inspirant” par des attentes réalistes. Pour cela, il faut absolument dégager du temps aux managers pour qu’ils s’approprient les objectifs et sachent les communiquer clairement à leurs équipes, puissent être à l’écoute de leurs collaborateurs, développent cette proximité nécessaire pour engager l’alignement de chaque membre de ses équipes avec les objectifs de l’organisation.

Au niveau systémique, il s’agit surtout d’empêcher les pratiques dysfonctionnelles de se répandre. Il est nécessaire de sanctionner les abus de pouvoir, sinon le message envoyé est que la domination est tolérée, la toxicité, anecdotique. La règle, c’est « tolérance zéro » avec les pratiques dysfonctionnelles quelles qu’elles soient.
Finalement, le feedback c’est comme le cholestérol, il faut cultiver le bon et lutter, autant que faire se peut, contre le mauvais. Instaurer une culture du feedback revient dans une organisation à adopter une approche holistique qui inclut des changement individuels, organisationnels, et systémiques. Elle passe donc par l’attention que nous portons à ce qui nous entoure, afin d’en saisir la réalité et agir pour créer un espace d’écoute authentique et bâtir une relation de confiance. Comme l’écrivait Simone Weil, « l’attention est la forme la plus rare et la plus pure de la générosité ». Cela est d’autant plus important dans un contexte d’hypervigilance et d’hypertransformation où la volonté de traiter un flux d’information constant nuit à la disponibilité à l’autre.
