A quelques heures du coup d’envoi des JOP 2024, toutes les entreprises filent la métaphore sportive, en vantant les mérites de l’esprit d’équipe des athlètes. Les deux mondes ont-ils quelque chose à apprendre l’un de l’autre ?
S’il y a quelques années, on considérait que l’entreprise avait plus à apprendre du monde sportif que l’inverse, ce n’est plus tout à fait le cas aujourd’hui : les fédérations et clubs sportifs reconnaissent que les organisations privées peuvent être aussi une source d’inspiration pour faire progresser leurs pratiques managériales. Le sport professionnel puise aussi dans les entreprises ; les coachs sportifs partagent incontestablement des problématiques communes avec les managers : la gestion des conflits, la détection des talents, la recherche de la performance, la montée en compétences. Ils doivent aussi s’interroger sur leur place au sein d’organigrammes de plus en complexes, entre la direction et les équipes qu’ils managent. Il y a donc une pertinence pédagogique à faire dialoguer managers et entraîneurs pour évaluer la pertinence de leurs différents modèles. Ces échanges peuvent être très fructueux.
L’entreprise est-elle également une source d’inspiration en matière de GRH ?
Dans le sport, ce n’est pas un réflexe : les services ressources humaines sont encore balbutiants. C’est un vrai manque. Il s’agit souvent de l’un des derniers postes à être créé. Cette fonction est le plus souvent dévolue au directeur général dotée de compétences administratives et financières, mais très rarement en RH. Seules les grandes fédérations, comme la Fédération de football, peuvent se prévaloir d’un service RH. La Fédération de handball devrait lui emboîter le pas très rapidement. Il s’agira, à mon avis, d’une des chantiers les plus importants dans les 10 ans à venir.
Qu’en attendez-vous ?
L’élaboration de véritables stratégies RH sur la gestion des compétences, l’évolution de carrière mais aussi sur les politiques d’égalité professionnelle et de responsabilité sociale et sociétale des entreprises. Ce sont des sujets qui commencent à poindre dans le sport alors qu’ils sont déjà bien intégrés dans l’entreprise.
Où en est justement l’égalité professionnelle dans le sport ?
Sur ce sujet, la Fédération de handball s’est, par exemple, inspiré des pratiques en vigueur dans les entreprises, notamment celles de ses partenaires privés. Nous avons fait intervenir dans nos séminaires les spécialistes qui pilotaient ces dispositifs. Nous avons repris l’exemple des ambassadeurs égalité de la BPCE, présents dans l’ensemble de leurs structures déconcentrées pour décliner ce principe dans nos fédérations locales. Nous organisons régulièrement des séminaires pour partager les initiatives sur les dispositifs mis en place au niveau national et local.
Nous avons également féminisé nos instances de gouvernance, avec succès puisque nous comptons aujourd’hui 50 % de femmes au sein de notre bureau et entre 45 % et 50 % au sein de notre conseil d’administration. Cette mixité est aussi déployée au sein des instances régionales. Ce qui fait de notre fédération l’une de plus avancées sur ce sujet.
Les autres fédérations devraient suivre cet exemple progressivement. Il y urgence à contrer les comportements virilistes et sexistes très nombreux dans le monde sportif.
Le sport et le monde du travail font-ils bon ménage ?
Là encore le sport est en retard sur le privé : le droit du travail a fait officiellement son entrée dans le monde du sport en 2006, date de l’extension de la convention collective nationale du sport du 7 juillet 2005. Avant, il s’agissait d’une zone de non droits. Aujourd’hui, les salariés disposent de CSE, de représentants du personnel et peuvent s’appuyer sur des accords signés entre partenaires sociaux, dans le cadre du dialogue social.
Certaines disciplines ont aussi leur propre convention collective : c’est le cas du handball féminin qui a signé le premier du genre, le 15 mars 2021, puis du basket, le 1er juillet dernier. Des négociations sont en cours dans le football féminin.
Mais il subsiste aussi des différences fondamentales entre les deux univers. Le taux de syndicalisation des sportifs – d’au moins 80 % – a de quoi faire pâlir de nombreuses organisations syndicales traditionnelles. Les sportifs adhèrent massivement à leur syndicat professionnel que ce soient l’ Association des joueurs professionnels de handball, l’Union nationale des footballeurs professionnels, le Syndicat national des basketteurs… regroupés au sein de la Fédération nationale des associations et syndicats de sportifs (FNASS).
De nombreuses entreprises ont accompagné des athlètes de haut niveau. 219 sportifs bénéficiaient, en 2022, d’une convention d’insertion professionnelle (CIP). Comment se passe, selon vous cette intégration dans un collectif de travail ?
Il serait intéressant de mesurer sérieusement le bien-fondé de ce dispositif. Ces conventions peuvent, en effet, générer des difficultés. Pour l’entreprise, en effet, l’accueil d’un sportif de haut niveau au sein des équipes est fastidieux : elle doit gérer des emplois du temps morcelés en raison du temps dévolu à son entraînement ou ses compétitions. D’autant que ce régime particulier est souvent assimilé à un régime de faveur par les autres salariés qui craignent de récupérer une charge de travail supplémentaire. Des situations très vite oubliées lorsque le sportif remporte un trophée. Mais, à l’inverse, qui peuvent être exacerbées en cas d’échec.
De plus, son intégration nécessitera un temps d’adaptation pour maîtriser les codes et la culture de l’entreprise. Au travail, le sportif de haut niveau sort de sa zone de confort et devra, modestement, repartir de zéro. C’est un changement radical.
Mais ce type de convention est vital pour eux : près 50 % des sportifs de haut niveau vivent en dessous du seuil de pauvreté. Ce contrat apporte donc une stabilité financière et une sécurité psychologique très précieuse pour s’entraîner.
Que pensez-vous de la Charte sociale des JO signé par les PS en 2018 ? Pour quels effets ?
Là encore, il est difficile de se prononcer sans une évaluation précise et indépendante des résultats. Mais si le bien-fondé de cette charte est démontré, elle doit alors se généraliser à l’ensemble des grands événements sportifs internationaux. C’est une idée intéressante si les engagements sont respectés. D’autant qu’il existe, depuis 2021, une charte écoresponsable.
Même si elle n’empêchera pas certains préavis de grève comme celui annoncé par le syndicat défendant les artistes interprètes SFA-CGT…
► Béatrice Barbusse est également auteure d’une thèse, en 1997, « Sport et entreprise : des apports réciproques en matière de gestion des ressources humaines ».