En février 2024, Force ouvrière a intenté un recours pour excès de pouvoir contre le décret du 28 décembre 2023 et l’arrêté du 3 janvier 2024 pris en application de la loi sur le marché du travail du 21 décembre 2022 ; une seconde requête avait été déposée par la CGT, Solidaires et la FSU.
Cette loi a introduit dans le code du travail la règle selon laquelle le salarié en contrat à durée déterminée (CDD) ou en contrat de travail temporaire (CTT) qui refuse, par deux fois, une proposition d’emploi en CDI perd ses droits à indemnisation chômage dès lors que l’offre d’emploi répond à certaines caractéristiques. Le décret en précisait la procédure et l’arrêté les modalité d’information de France Travail.
Plusieurs arguments étaient invoqués à l’appui des deux recours pour excès de pouvoir contre ces deux textes réglementaires.
Le premier argument invoqué par les requérants visait à dénoncer un traitement discriminatoire dans l’accès aux droits à l’assurance chômage, en méconnaissance de l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales combiné à l’article 1er de son premier protocole additionnel et la création de situations de travail forcé ou obligatoire, en méconnaissance des stipulations de l’article 4 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de la Convention internationale du travail n° 29 sur le travail forcé et de son protocole de 2014, de la Convention internationale du travail n° 105 sur l’abolition du travail forcé ou de la Convention internationale du travail n° 122 sur la politique de l’emploi.
Mais pour le Conseil d’Etat, « les dispositions des articles L.1243-11-1 et L.1251-33-1 du code du travail se bornent à faire obligation, dans certaines conditions, à l’employeur d’un salarié en contrat à durée déterminée ou à l’entreprise utilisatrice d’un salarié en contrat de mission qui propose à ce salarié un contrat à durée indéterminée de notifier à Pôle emploi, devenu l’opérateur France Travail, le refus de cette proposition par le salarié. Bien qu’un tel refus de la part de ce dernier puisse avoir pour conséquence, quand les conditions prévues au dernier alinéa du I de l’article L.5422-1 du même code sont remplies, qu’il ne pourra se voir ouvrir le bénéfice de l’allocation d’assurance, l’obligation de notification qui incombe à l’employeur est, par elle-même, sans effet sur les droits du salarié ».
Le deuxième argument invoqué est que le décret méconnaîtrait le droit constitutionnel à l’existence d’un régime d’assurance chômage et le principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.
D’une part, les juges administratifs rappellent que la remise en cause de la constitutionnalité d’une disposition législative ne peut se faire que dans le cadre de la procédure prévue à l’article 61-1 de la Constitution [la question prioritaire de constitutionnalité]. D’autre part, ils décident qu' »en tout état de cause (…) l’obligation de notification qui incombe à l’employeur, dont le décret attaqué précise les modalités, est, par elle-même, sans effet sur les droits du salarié au bénéfice de l’allocation d’assurance chômage ».
Pour ce même motif, le Conseil d’Etat rejette le moyen soutenant que le décret porterait atteinte au droit à indemnisation du chômage tel qu’il serait protégé par le premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Les requérants soutenaient également que le décret et l’arrêté méconnaîtraient le droit à un recours effectif et « l’égalité des armes » garantis par les articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que les articles 8 et 14 de la même convention et l’article 10 de la Convention internationale du travail n° 44 car ils ne prévoient pas de délai minimum ouvert au salarié pour se prononcer sur la proposition de CDI.
Le Conseil d’Etat rappelle toutefois que le décret prévoit que l’employeur ou l’entreprise utilisatrice accorde au salarié un délai raisonnable pour se prononcer sur la proposition de CDI en lui indiquant qu’à l’issue de ce délai de réflexion, une absence de réponse de sa part vaudra rejet de la proposition. Les juges rappellent également que le décret prévoit que « le salarié est informé par France Travail, ce dernier étant seul à même de le faire, à réception des informations complètes transmises par l’employeur ou par l’entreprise utilisatrice, des conséquences de son refus sur l’ouverture de ses droits à l’allocation d’assurance. A ce titre, aucune disposition ne fait obstacle à ce que le salarié communique à l’opérateur France Travail tout autre élément, notamment quant au motif de son refus, de nature à permettre à cet établissement de déterminer si le bénéfice de l’allocation d’assurance peut lui être ouvert au titre du 1° du I de l’article L.5422-1 du code du travail ».
« Le demandeur d’emploi peut, en outre, contester, sous le contrôle du juge, la décision relative au bénéfice de l’allocation d’assurance prise par France Travail en application de l’article L.5422-4 du code du travail », ajoutent les juges.
Les requérants mettaient également en cause le fait que, s’agissant des CTT et contrairement aux CDD, il n’est pas prévu que l’employeur justifie du caractère au moins équivalent de la rémunération et de la durée de travail proposées.
Le Conseil d’Etat commence par rappeler que seules les propositions de CDI qui portent sur un emploi identique ou similaire à l’emploi précédemment occupé en CDD ou en CTT peuvent être prises en compte au titre du double refus prévu au dernier alinéa du I de l’article L.5422-1 du code du travail pour faire obstacle à l’ouverture de droit au demandeur d’emploi au titre de l’allocation d’assurance.
Il apporte ensuite une précision intéressante sur le cas du CTT. « Si l’article R.1251-3-1 du code du travail applicables aux salariés en contrat de mission ne détaille pas, à la différence de l’article R.1243-2 applicables aux salariés en contrat à durée déterminée, les éléments à transmettre à France Travail par l’entreprise utilisatrice, devant permettre de justifier dans quelle mesure cette condition est satisfaite et accompagnant le descriptif de l’emploi proposé, cette circonstance n’entache pas d’illégalité le décret attaqué, qui prévoit que l’entreprise utilisatrice doit transmettre à France Travail des éléments permettant de justifier que l’emploi proposé est identique ou similaire à celui de la mission effectuée, ce qui peut se faire, par exemple, en faisant valoir la rémunération et la durée de travail figurant dans le contrat de mise à disposition du salarié en contrat de mission ».
Enfin, le Conseil d’Etat rejette le grief selon lequel l’arrêté serait illégal faute de préciser les modalités d’information de l’opérateur France Travail, par l’employeur ou par l’entreprise utilisatrice. Les juges retiennent que les requérants n’indiquent pas quelles seraient les précisions qui seraient manquantes et indique que « cet arrêté se borne à déterminer les modalités de transmission des informations, par l’employeur ou par l’entreprise utilisatrice, à l’opérateur France Travail, les éléments d’information à transmettre figurant dans le décret du 28 décembre 2023 ».
