La société a porté atteinte aux prérogatives du CSE et aux conditions de travail
Selon l’ordonnance du tribunal judiciaire de Créteil, le CSE du Groupe Moniteur a sollicité l’ouverture d’une négociation de cadrage et de méthodologie sur l’usage de l’intelligence artificielle. La direction avait en effet implanté des outils d’IA dans l’intranet et proposait un accès payant à ChatGPT. Le juge relève que « ces applications permettent, par un processus automatisé, de créer du contenu par l’amélioration stylistique des articles, la transcription d’enregistrement audio, la synthèse de texte et la rédaction d’articles à partir de ces transcriptions ».
Malgré les demandes du CSE, ce dernier s’est heurté à « des refus réitérés de la direction de la société ». Pourtant, le juge lui rappelle ses obligations : selon l’article L.2312-8 4° du code du travail, le CSE est informé et consulté sur l’introduction de nouvelles technologies. Or, il ne fait pas de doute pour le juge que l’IA rentre dans cette catégorie : « Il n’est pas sérieusement contestable que l’intelligence artificielle est une technologie nouvelle dont le déploiement dans le secteur de la presse est susceptible d’affecter les conditions de travail de ses salariés ».
Ce dernier point est à notre connaissance inédit : le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre en février dernier ne le mentionnait pas. Par ailleurs, l’ordonnance rendue en février concernait une information-consultation déjà ouverte mais pas terminée. Cette ordonnance du TJ de Créteil constitue donc une première sur un cas d’information-consultation refusée par la direction.
Le tribunal rappelle également que lorsque la mesure s’inscrit dans une procédure complexe comportant des décisions échelonnées, le CSE doit être consulté à l’occasion de chacune d’elles.
De plus, la consultation du CSE doit être préalable aux décisions de l’employeur (sauf en matière d’offre publique d’acquisition (article L.2312-14 du code du travail). Le juge souligne donc que l’information et la consultation préalables du CSE « en temps et effet utile à la démarche, tendant à aboutir à un accord des représentants des salariés n’a pas été permis ».
Le juge décide que l’absence d’information-consultation du CSE sur les outils d’IA constituant un trouble manifestement illicite, « il convient de faire cesser en ordonnant à la société la suspension de l’utilisation des outils informatiques d’intelligence artificielle, jusqu’à la clôture du processus de consultation du CSE ».
Attention donc, ouvrir la procédure avec le CSE ne suffit pas : les outils d’IA doivent être suspendus jusqu’à ce que le CSE rende son avis. Pour mémoire, ce délai peut être fixé par accord avec l’employeur. A défaut, l’article R.2312-6 prévoit que le CSE est censé avoir rendu un avis négatif à expiration d’un délai d’un mois. Ce délai court à compter de la communication par l’employeur des informations nécessaires à l’information-consultation (article R.2312-5 du code du travail). Si le CSE a recours à un expert, ce qui est le cas en l’occurrence, ce délai est porté à deux mois.
Les sociétés sont condamnées à suspendre l’utilisation des outils d’IA jusqu’à la fin de l’information-consultation (les groupes de travail pouvant poursuivre leurs travaux), avec astreinte de 1 000 euros par jour pendant trois mois en cas d’infraction. Le juge a ajouté 5 000 euros de dommages et intérêts pour réparer le préjudice du CSE, et 2 000 euros au titre des dépens (frais de procédure de l’article 700 du code de procédure civile).
