Fin du suspense et du lancement de ballons d’essais dans la presse ces dernières semaines. Le Premier ministre a listé les économies envisagées pour le prochain budget. Devant plusieurs rangs de membres du gouvernement, François Bayrou est longuement revenu sur sa doctrine personnelle de réduction des dépenses publiques.
La dette, « cette malédiction », « un piège » qui fait que le pays « ne peut pas survivre », un endettement supplémentaire de « 5 000 euros par seconde », un « danger mortel » dont il veut se faire le protecteur. C’est pourquoi il a intitulé sa conférence de presse « Le moment de vérité », ajoutant qu’il avait porté le sujet lors de plusieurs campagnes présidentielles et que le hasard lui donne aujourd’hui « la charge d’en saisir le pays ».
Sauveur de la France mais lucide, il sait que le risque politique de la censure plane tout de même au-dessus de son gouvernement : « Il n’y a que des risques pour le gouvernement : sans majorité à l’Assemblée nationale, et les soutiens du gouvernement ne sont pas toujours convaincus…? Tout concourt donc au fatalisme et à ce qu’on ne fasse rien, le gouvernement sait qu’il est à la merci des oppositions ». Et si ce plan est présenté deux mois avant la période traditionnelle, c’est « pour laisser plus de temps à la réflexion et aux idées ».
Est-ce pour cette raison que François Bayrou dit accueillir toute autre proposition, qu’elle émane des partis politiques, des parlementaires, des partenaires sociaux, du Conseil économique social et environnemental, qui pourraient survenir pendant l’été ? Il espère sans doute consolider le consensus autour de ses mesures qui risquent de secouer la rentrée sociale, à commencer par le gel des prestations et la suppression de deux jours fériés.
François Bayrou vise un retour à l’équilibre et la fin de l’augmentation de la dette par un plan pluriannuel sur quatre ans, de 2026 à 2029. Le déficit de 5,4 % en 2025 devra se réduire à 4,6 % en 2026, puis 4,1 % en 2027, 3,4 % en 2028 et enfin 2,8 % en 2029.
Cette trajectoire est accompagnée de grands principes : la baisse de la dépense publique, une participation de tous à un effort supportable. « Le travail et les entreprises doivent être épargnés » a précisé le Premier ministre, tout en annonçant un peu plus tard des mesures visant directement les salariés.
Au premier chef, il propose de supprimer deux jours fériés : le lundi de Pâques et le 8 mai. L’idée est de « réconcilier le pays avec le travail », sans toutefois que ce montant, lié à un surcroît de production, ne soit évoqué plus précisément que « plusieurs milliards ». Le Premier ministre se dit cependant ouvert à des propositions d’autres dates.
« Nous ne sommes pas assez nombreux à travailler, il faut augmenter la part de nos concitoyens qui travaillent », a affirmé le Premier ministre. Malgré deux accords très récents entre partenaires sociaux sur l’assurance chômage et les seniors (en novembre 2024) en cours de transposition dans la loi, François Bayrou veut relancer une négociation sur l’assurance chômage dans les prochaines semaines.
Syndicats et patronat ne vont donc pas tarder à recevoir une nouvelle lettre de cadrage. Il s’agira de modifier les conditions d’indemnisation de la rupture conventionnelle, accusée de remplacer à tort les démissions, de rendre les conditions d’affiliation « plus souples », d’affiner les conditions d’indemnisation voire d’augmenter la dégressivité des allocations, autant dans leur montant que dans leur durée de versement. Des points qui rappellent le projet de réforme porté par Gabriel Attal avant la dissolution, et que l’ancien Premier ministre devenu député à la faveur de la dissolution a depuis transformé en proposition de loi.
Le deuxième négociation envisagée par le gouvernement, qui pourrait faire l’objet d’une lettre de cadrage fin août, concerne un objectif de « fluidification du marché du travail », l’idée semblant être d’étendre le champ de la négociation d’entreprise.
Le gouvernement veut « améliorer les conditions de travail, faciliter les recrutements, augmenter les offres de travail ». Ces orientations sont précisées par la ministre du travail, Astrid Panosyan-Bouvet : il s’agira d’aménager les contrats de travail à durée déterminée et indéterminée notamment des contrats intérimaires et de chantiers. Il sera question de réduire le délai permettant au salarié de contester son licenciement hors cas de harcèlement et de discrimination, de permettre la hausse du temps de travail, de monétiser la cinquième semaine de congés payés, de freiner le nombre d’arrêts de travail.
La ministre souhaite qu’il soit possible d’aborder ces sujets par accord. Elle vise également « une amélioration de la qualité du travail » en luttant contre le temps partiel subi des femmes (un chantier déjà évoqué en 2023 lors de la conférence sociale d’Elisabeth Borne). Du côté de la lutte contre les accidents du travail graves et mortels, elle veut réintroduire un dialogue social « de proximité » mais n’ouvre à aucun moment la voie d’un retour du CHSCT. Elle compte en revanche, même si cela reste vague, « intégrer le principe d’écoute dans les politiques de prévention ».
Comme contreparties, la ministre du travail évoque notamment un abaissement du seuil de représentation des salariés dans les conseils d’administration.
Selon le Premier ministre, les contrôles sur les arrêts maladie de plus de 18 mois montrent que 50 % d’entre eux ne sont plus justifiés au moment du contrôle. Il ne précise cependant pas de mesure concrète pour y remédier mais dénonce « un autre blocage » : « Au-delà de 30 jours d’arrêt, la reprise du travail nécessite l’avis du médecin du travail. Mais comme nous en manquons, des gens qui souhaitent travailler de nouveau en sont empêchés ». C’est pourquoi l’avis sera basculé sur le médecin généraliste.
Catherine Vautrin a de son côté évoqué une évolution du complément de garde et du congé de naissance », un suivi renforcé des arrêts maladie et une réévaluation des patients en arrêt ». On le voit, un chantier sur les arrêts maladie sera nécessairement ouvert dans le PLFSS 2026.
Piste déjà lancée dans la presse, l’année blanche se confirme. Ce gel des prestations sociales rapporterait 7,1 milliards d’euros. Le Premier ministre rappelle qu’il s’agit de ne pas modifier en 2026 les montants perçus en 2025. Autrement dit, les prestations ne seront pas indexées comme chaque année. Toutes les prestations seraient concernées. « L’inflation aidera » précise François Bayrou pour alléger la blessure infligée aux plus fragiles puisqu’elle ne s’établirait qu’autour de 1 %.
Les barèmes de l’impôt sur le revenu et de la CSG ne seront en revanche pas modifiés par rapport à 2025. Cependant, le gouvernement compte partir à la chasse de certaines niches sociales, en particulier celles qui bénéficient aux plus favorisés. L’abattement de 10 % pour frais professionnels des retraités sera supprimé et remplacé pour les plus fragiles par un forfait annuel avantageant les petites retraites.
Autre mesure de justice, une contribution de solidarité définie lors du vote du budget visera les plus hauts revenus, et sera accompagnée de mesures complémentaires pour lutte contre l’optimisation abusive des « patrimoines non productifs ». Par ailleurs, une « allocation sociale unifiée » sera créée pour rendre « la solidarité plus lisible ». Rappelons également, sur les retraites, que le PLFSS pour 2026 devrait reprendre les mesures issues du « conclave » sur les retraites des femmes, la pénibilité et l’abaissement à 66,5 ans de l’âge d’annulation de la surcote.
S’il n’est pas question pour l’instant de TVA sociale, le Premier ministre voit ces chantiers comme « un basculement d’assiette » consistant à chercher des sources de financement de la protection sociale ailleurs que dans le travail. Il n’annonce pourtant pour l’instant aucun transfert de financements par des cotisations sociales vers de l’impôt.
François Bayrou accompagne cette mesure d’un plan de lutte contre la fraude fiscale et sociale : un projet de loi sera déposé à l’automne et visera la détection, la sanction et le recouvrement des sommes fraudées. Un point qui doit particulièrement être travaillé : les organismes comme l’Urssaf sont aujourd’hui dépourvus de moyens juridiques de saisir les sommes sur les comptes en banque ou dans les patrimoines des fraudeurs. C’est pourquoi, sur les 16,6 milliards de détections de fraudes annoncées en 2024, seulement 11 milliards sont effectivement récupérés par les caisses. Il est donc souhaitable que le projet de loi inclue des mesures sur ce point.
L’année blanche concernera aussi les budgets des ministères, tous visés par l’austérité. Il sera également question de ne pas remplacer les départs d’un fonctionnaire sur trois partant en retraite et de réduire les emplois publics de 3 000 postes.
Le chantier de la simplification revient ! François Bayrou saisit le sujet pour faire passer aux entreprises un travail sur les aides publiques. Il s’agira d’échanger une subvention contre plus de liberté. Une entreprise pourrait donc perdre une aide publique en échange d’une simplification administrative. François Bayrou entend ainsi tirer les leçons du rapport de la commission sénatoriale sur les aides publiques aux entreprises qui a chiffré à 211 milliards ces aides versées aux structures employant au moins 1 000 salariés.
Toutes les tailles d’entreprises seront concernées dans ce « donnant-donnant » que le Premier ministre ne comptabilise pas encore mais qu’il évalue à plusieurs milliards. Il sera aussi question d’améliorer l’accès des entreprises au financement, notamment européens. 900 millions d’euros y seront consacrés. Autre chantier en faveur des entreprises : les délais de paiement feront l’objet d’une sanction à hauteur de 1 % du chiffre d’affaires.
Précision de taille : ce chantier sera mené par ordonnances et non par un projet de loi. Lancé dès l’automne, il se poursuivra tout au long de l’année 2026.
Enfin, l’Etat peut davantage travailler sur l’ensemble des filières plutôt que sur des dossiers isolés d’entreprises en difficulté. Dans une stratégie globale de redressement du commerce extérieur, il passera en revue les filières déficitaires afin de repérer les productions les plus propices à une installation en France plutôt qu’à l’étranger. Par ailleurs, les fonds de France 2030 seront davantage affectés à l’intelligence artificielle et à la cybersécurité. Et afin de remédier aux défauts de recrutements d’ingénieurs, François Bayrou soutient le plan « Filles et mathématiques » destinée à orienter plus de femmes dans les emplois scientifiques et déployé par la ministre de l’éducation Elisabeth Borne.
Toujours dans l’optique de favoriser la production, le ministre de l’économie, Eric Lombard a annoncé des réductions de coût de l’énergie au bénéfice des entreprises de la chimie (avec des contrats d’approvisionnement de 30 Terawatts/heure d’ici la fin de l’année) et un soutien de crédit d’impôt recherche au profit de l’industrie lourde, et notamment des entreprises de l’acier. La sidérurgie fera l’objet de « mesures de sauvegarde renforcée », effet sans doute du plan de sauvegarde de l’emploi d’ArcelorMittal. Pour l’automobile, il compte encourager le made in Europe et « muscler l’arsenal de défense commerciale contre la concurrence chinoise ». Enfin, pour favoriser les achats en France sur des circuits courts, une taxe sur les petits colis sera créée afin de protéger le commerce français « de la marée de concurrence déloyale ».
Nouvelles négociations interprofessionnelles, conférence sociale, préparation du budget, la rentrée s’annonce déjà très chargée sur le plan social…
