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Ententes anti-concurrentielles sur le marché du travail

Sergio Sorinas rappelle que la première affaire à l’origine de la prise de conscience est celle dite du cartel de la Silicon Valley, impliquant notamment Apple, Intel, Google, Adobe et Pixar, qui a montré que les « no-poach agreements » – accords de non-débauchage – pouvaient constituer des pratiques anticoncurrentielles. Aujourd’hui, les autorités européennes et française suivent la voie tracée par les régulateurs américains.

Marcel Nuys, du bureau de Düsseldorf, présente les principales pratiques anticoncurrentielles que sont les accords sur les salaires, les accords de non-débauchage et les échanges d’informations sensibles. Il souligne que tous les secteurs peuvent être concernés, les condamnations ayant visé à ce jour des secteurs très différents tels que la tech et l’informatique, la santé, le football, la livraison de repas ou encore les médias.

Camille Puech-Baron, qui officie depuis Bruxelles, retrace le cours des développements au niveau européen. Dans l’affaire Diarra la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) a jugé qu’au regard de l’article 101 TFUE tout accord de non-débauchage constitue une restriction de concurrence par objet (CJUE 4-10-2024 aff. C-650/22, Fifa c/ BZ).

L’affaire Tondela (relative aux clubs de football portugais), toujours pendante devant la CJUE, pourrait venir nuancer cette position. Dans ses conclusions du 15 mai 2025, l’avocat général Emiliou souligne que les accords de non-débauchage ne sont pas toujours une restriction de concurrence par objet. Le contenu, le contexte et les objectifs de l’accord doivent être pris en compte. En l’espèce, l’accord avait une portée limitée dans le temps et dans l’espace, il ne concernait que les transferts entre clubs portugais, et avait pour objet de préserver l’équité des compétitions sportives pendant la crise de la Covid-19.

L’année 2025 marque un tournant. Le 2 juin 2025, la Commission européenne a annoncé avoir sanctionné les sociétés Delivery Hero (Allemagne) et Glovo (Espagne), intervenant dans le secteur de la livraison de repas en ligne, d’une amende de 329 millions d’euros pour s’être entendues sur le non-débauchage de leurs salariés, l’échange d’informations sensibles et la répartition de marchés géographiques. Ces pratiques ont été facilitées par une prise de participation minoritaire accompagnée d’un pacte d’actionnaires contenant des clauses de non-sollicitation étendues par la suite à un accord plus large.

Toujours en 2025, mais en France, le 11 juin 2025, l’Autorité de la concurrence a sanctionné des ententes mises en place par quatre sociétés du secteur de l’ingénierie et du conseil (d’une part entre Expleo et  Bertrandt et d’autre part entre Alten et Ausy – devenu Randstad Digital), explique Marie Louvet du bureau parisien, qui relève qu’il s’agit de la première affaire où il est question exclusivement d’accords de non-débauchage (décision n° 25-D-03 du 11 juin 2025).

Ces accords de non-débauchage prenaient la forme d’accords informels ou « gentlemen’s agreements », qui étaient de portée générale, sans limitation de durée et visaient à s’interdire mutuellement le débauchage de personnel et l’embauche issue de candidatures spontanées. Des preuves ont pu être retrouvées, en particulier des mails échangés entre managers des différentes sociétés se référant explicitement à l’existence d’un « gentleman agreement » ou d’un « accord de non-débauchage réciproque ».

L’Autorité a précisé que de tels accords sont des restrictions de concurrence par objet et a infligé des amendes aux entreprises impliquées relativement limitées (Alten : 24 M€, Bertrandt : 3,6 M€, Expleo : 1,9 M€).  De plus, une publication de la décision sur LinkedIn a été ordonnée, ce qui est inédit et témoigne de la volonté de donner à cette décision une publicité adaptée à la nature des pratiques, souligne Marie Louvet.

L’Autorité de la concurrence n’a en revanche pas sanctionné des clauses de non-sollicitation ciblées (durée et champ d’application limités) que les entreprises visées avaient pu inscrire dans des accords de partenariats et qui n’ont pas été considérées anticoncurrentielles.

André Pretorius, du bureau de Londres et qui revient sur l’expérience britannique, signale que le champ de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles sur le marché du travail ne se limite pas aux salariés mais peut s’étendre aux « free-lance » ou indépendants, dès lors que les restrictions à l’embauche des « free-lance » peuvent au plan économique contaminer la situation des salariés.

Enfin, au-delà des amendes qui peuvent potentiellement être colossales et du risque réputationnel pour les entreprises qui se livrent à de telles pratiques, les salariés qui ont subi un préjudice du fait d’une entente anticoncurrentielle peuvent engager une action en responsabilité, le cas échéant dans le cadre d’une action collective, l’affaire du cartel de la Silicon Valley avait d’ailleurs suscité une class action de la part des salariés lésés afin d’être indemnisés du manque à gagner.

En pratique :

  • les ententes informelles entre partenaires, même non écrites (« gentlemen’s agreements »), peuvent engager la responsabilité des entreprises ;
  • les clauses dans les accords de partenariats doivent être limitées à un projet, une durée, un périmètre et une population clairement définis, justifiés par le partenariat lui-même ;
  • les pratiques RH dans le cadre de partenariats entre entreprises (groupements momentanés d’entreprises, sous-traitance, co-traitance, etc.) doivent être encadrées par des clauses strictement proportionnées à l’objectif poursuivi ;
  • la durée, l’étendue sectorielle ou géographique, et la cible des salariés concernés sont des critères clés dans l’analyse concurrentielle.
Clauses de non-concurrence et non-sollicitation : des solutions bien encadrées

Pendant l’exécution du contrat de travail, l’obligation de loyauté lie le salarié. Après la rupture, les employeurs peuvent s’appuyer sur plusieurs types de clauses : confidentialité, non-concurrence, non-sollicitation (de clients ou de salariés, autrement dit des clauses de non-débauchage et de non-détournement de clientèle). Ces clauses peuvent être insérées dans les contrats de travail individuels (c’est le cas des clauses de confidentialité et de non-concurrence) et dans les accords commerciaux ou contrats de partenariat (c’est généralement le cas des clauses de non-sollicitation).

En droit français, les clauses de non-concurrence dans les contrats de travail sont licites sous certaines conditions rappelle Emma Rohsler (voir notamment : arrêts du 10 juillet 2002 n° 00-45.13500-45.387 et 99-43.334).

A l’étranger, les délais de préavis qui peuvent être plus longs qu’en France peuvent être utilisés pour empêcher les salariés démissionnaires de passer immédiatement à la concurrence.

Les clauses insérées dans des pactes d’actionnaires ou accords commerciaux ne sont valables qu’en cas de prise de contrôle ou d’acquisition effective. Une simple participation minoritaire ne peut justifier une clause de non-débauchage/non-sollicitation.

En pratique, les intervenants recommandent d’éviter les clauses génériques ou systématiques, notamment pour les fonctions support, et les réserver aux fonctions clés. Les clauses de non-sollicitation et de non-débauchage doivent être encadrées strictement dans les pactes d’actionnaires et accords commerciaux.

« Acqui-hires » : le savoir-faire humain, nouvel actif sous surveillance

Le phénomène des « acqui-hires » – recrutements massifs d’équipes dans le cadre d’un accord commercial ou d’un partenariat technologique – suscite une attention croissante des autorités de concurrence.

L’opération peut entrer dans le champ du contrôle des concentrations si elle cible des profils stratégiques.

L’affaire Microsoft/Inflection AI en est l’illustration. Bien que le rachat d’actifs humains ne soit pas juridiquement une acquisition d’entreprise, la reprise coordonnée d’équipes, combinée à des accords de licence ou de financement, peut relever du contrôle des concentrations. La Commission européenne a activé l’article 22 du règlement sur les concentrations pour tenter un examen par renvoi mais a été contrainte d’abandonner cette affaire du fait du retrait des demandes de renvoi suite à l’arrêt de la CJUE dans l’affaire Illumina/Grail. Marcel Nuys ajoute que le Bundeskartellamt en Allemagne partage cette vision.

En pratique, retenons que toute opération de « rachat d’équipe », même sans transfert d’actifs, peut attirer l’attention des autorités si elle concerne des profils stratégiques (R&D, tech, etc.). Il est essentiel d’anticiper ces risques dès la phase de négociation dans les opérations de croissance externe ou de partenariats sectoriels impliquant du personnel.

Un autre aspect à prendre en compte, selon les intervenants, pour aborder ces différents sujets est la prochaine transposition (avant le 7 juin 2026) de la directive 2023/970 du 10 mai 2023 sur la transparence des rémunérations, qui va imposer une transparence accrue :

  • les employeurs seront tenus d’indiquer le salaire de départ ou la fourchette de rémunération lors de la publication d’une offre d’emploi — soit directement dans l’annonce, soit avant l’entretien ; 
  • les salariés en poste auront le droit de demander à leur employeur des informations sur les niveaux de rémunération moyens ainsi que sur les critères utilisés pour fixer les salaires et assurer l’évolution de carrière.
Vers une stratégie de compliance intégrée ?

Les intervenants de la table ronde insistent sur la nécessité de renforcer la vigilance dans les pratiques RH, surtout dans les secteurs concurrentiels où le turn-over est particulièrement élevé (ingénierie, IT, médias, sport…).

Les autorités considèrent désormais certaines pratiques RH comme des menaces pour l’économie et la loyauté du  marché du travail.

Les avocats du cabinet Herbert Smith Freehills Kramer recommandent de combiner droit social et droit de la concurrence dès la conception des politiques RH, en :

  • documentant chaque clause, entente ou partenariat susceptible d’être perçue comme une restriction ;
  • formant les équipes RH et managers aux risques de pratiques anticoncurrentielles ;
  • alignant les clauses contractuelles et accords internes aux exigences de proportionnalité et d’intérêt légitime.

Les différentes décisions et cas abordés lors de cette conférence illustrent de manière concrète l’enchevêtrement croissant entre droit de la concurrence et droit du travail. Directions juridiques et RH doivent adapter leurs pratiques et anticiper ces nouveaux risques : conformité, documentation, formation et contrôle des pratiques sont les clés pour éviter des sanctions financières et une atteinte à la réputation, tant nationale qu’internationale.

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Audrey Gauvin-Fournis et Clément Geiger
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L’impact croissant du droit de la concurrence sur les pratiques des directions des ressources humaines a fait l’objet d’une table ronde organisée le 26 juin 2025 à Paris par le cabinet Herbert Smith Freehills Kramer, réunissant plusieurs de ses avocats spécialisés en droit de la concurrence et en droit social. Les débats ont porté sur trois thématiques majeures : les ententes anticoncurrentielles sur le marché du travail, les clauses de non-concurrence, et le phénomène des « acqui-hires ».
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Chronique

L’intelligence artificielle s’impose dans nos environnements de travail, mais va-t-elle enrichir le travail des salariés ou le déshumaniser ? Les entreprises sont à un tournant : laisser la technologie guider l’organisation du travail, ou reprendre la main pour en faire un levier d’inclusion, de développement des talents et de qualité de vie. Il est urgent de choisir la bonne voie.

L’IA transforme l’environnement de travail numérique, mais dans quel sens ?

L’environnement de travail numérique est aujourd’hui le socle du cadre de travail moderne. L’intelligence artificielle y joue un rôle croissant, en personnalisant les interfaces, en automatisant les tâches, en recommandant les bons contenus au bon moment.

L’IA offre aujourd’hui la perspective d’un environnement de travail nouveau où l’information parvient à chaque collaborateur grâce à des algorithmes affinant les recommandations de contenus et les interfaces à leurs besoins spécifiques. Parallèlement, l’automatisation intelligente de certaines tâches libère du temps aux équipes pour se concentrer sur des missions à plus forte valeur ajoutée.

Mais cette quête de performance peut nuire au collectif et au sens du travail. Oui, l’IA améliore la productivité. Mais à quel prix ?

La neutralité technologique est un mythe

L’intégration de l’IA dans les outils de travail n’est pas un progrès neutre. Elle implique des choix de conception qui ont un impact direct sur les conditions de travail. Des choix algorithmiques cruciaux s’opèrent : collecte de données, critères de recommandations, ou répartition des tâches entre humains et machines.

Sans cadre clair, ces technologies peuvent accentuer la surveillance, introduire des biais, renforcer des logiques de rendement et affaiblir les dynamiques collectives. Pire : elles peuvent créer un sentiment d’isolement, voire une perte de sens.

L’environnement de travail numérique n’est pas seulement une question d’outils, c’est une question politique, sociale et culturelle.

Faire de l’IA un levier d’humanisation du travail

Il est essentiel de comprendre que, bien que l’IA transforme les modes de travail, elle ne remplace pas le contact humain indispensable à la collaboration et à l’épanouissement professionnel. Au contraire, elle peut enrichir l’expérience collaborateur en permettant aux employés de se concentrer sur des tâches plus créatives et stratégiques, tout en améliorant l’efficacité et la satisfaction au travail.

L’intelligence artificielle peut enrichir le travail du salarié, à condition d’être mise au service de l’humain, et non l’inverse. Pour cela, il faut poser des principes clairs :

  • donner un droit de regard aux collaborateurs sur les algorithmes qui les concernent ; 
  • garantir la transparence et l’éthique de la collecte de données ; 
  • former les managers à conjuguer technologie et lien humain ; 
  • intégrer les représentants du personnel dans les choix technologiques.

L’IA offre de nouvelles opportunités pour renforcer la collaboration et l’engagement des employés, à condition que son intégration soit accompagnée d’une réflexion et d’un encadrement approprié. Cette transformation prépare le terrain pour aborder les implications concrètes de ces technologies sur la productivité et la gouvernance des entreprises.

Loin de craindre l’IA, il faut l’apprivoiser et la réguler. C’est à ce prix qu’elle deviendra un véritable levier de sens, d’inclusion et de développement pour tous.

Vers un plan d’action pour un environnement de travail numérique éthique
  • créer une gouvernance éthique des outils numériques : avec des comités croisant RH, DSI, conformité, CSE ; 
  • construire une charte d’usage de l’IA : claire, transparente, partagée par tous ; 
  • renforcer l’accompagnement humain : formation, coaching, écoute managériale ; 
  • inclure les collaborateurs dans les choix technologiques : à travers des tests utilisateurs, des ateliers de design ou des sondages ; 
  • veiller à l’équité d’accès à la technologie : pour ne pas laisser sur le bord du chemin les profils moins technophiles.
L’IA ne doit pas déshumaniser le travail, mais l’enrichir

L’essor de l’intelligence artificielle dans l’environnement de travail numérique ne doit pas être perçu uniquement sous l’angle de la performance ou de l’efficacité opérationnelle. Derrière les promesses d’automatisation et d’hyperpersonnalisation se cachent des choix structurants pour les organisations : quels usages voulons-nous encourager ? Quelle place laissons-nous à l’humain dans des environnements toujours plus assistés par la technologie.

L’environnement de travail numérique de demain ne sera pas un monde froid et automatisé, sauf si nous l’acceptons sans débat. Il peut, au contraire, devenir un espace hybride, alliant la puissance des algorithmes à l’intelligence collective, la personnalisation des parcours à la richesse du lien humain.

L’enjeu n’est pas technologique, il est éthique, culturel et managérial.

Il appartient donc aux entreprises, et en particulier aux directions RH, DSI et conformité, d’en faire un usage éclairé, responsable et éthique. Cela implique de repenser les indicateurs de performance, d’investir davantage dans l’accompagnement humain et de poser un cadre clair sur l’usage des données et des algorithmes. Il est temps pour les entreprises de faire un choix clair : vouloir un environnement de travail numérique qui libère les collaborateurs et non qui les enferme.

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Maryam Sy & Pablo Cuesta, mc2i
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Dans cette chronique, Maryam Sy, manager de l’offre Transformation numérique et consultante confirmée, et Pablo Cuesta, offer manager, au sein du cabinet de conseil en transformation numérique mc2i, posent les conditions pour faire de l’intégration de l’intelligence artificielle dans l’environnement de travail numérique un vecteur de progrès pour le travail des salariés.
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Maryam Sy et Pablo Cuesta
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Prévue par la loi de finances pour 2025, la participation financière de l’employeur au financement des contrats d’apprentissage préparant un diplôme de niveau Bac + 3 et plus s’applique aux contrats conclus depuis le 1er juillet 2025. Les modalités d’application de cette prise en charge de 750 euros pour la première année du contrat ont été fixées par un décret du 27 juin 2025. Dans une publication sur son site internet sur les modalités du financement des contrats d’apprentissage depuis le 1er juillet 2025, datée du 30 juin 2025, le ministère du travail détaille au moyen d’exemples l’application de cette nouvelle participation financière de l’employeur.

Participation financière de 750 euros pour la première année du contrat d’apprentissage

Le ministère du travail rappelle que depuis le 1er juillet 2025, les employeurs doivent s’acquitter d’une participation obligatoire de 750 euros pour tout contrat d’apprentissage conclu à compter de cette date, pour les formations à partir de bac + 3 (niveaux 6 et 7).

► En cas de nouveau contrat à la suite d’une rupture du contrat initial, une participation réduite à 200 euros est prévue pour le nouvel employeur.

Elle est due par l’employeur pour chaque contrat, quelle que soit sa durée pour la seule première année d’exécution du contrat. En pratique, elle est déduite du montant pris en charge par l’Opco et est imputée sur le premier versement au CFA.

Elle est facturée par le CFA à l’employeur, à l’issue de la période probatoire prévue par l’article L.6222-18 du code du travail (article R.6332-25-2 du code du travail). Cet article permet la rupture du contrat « jusqu’à l’échéance des quarante-cinq premiers jours, consécutifs ou non, de formation pratique en entreprise effectuée par l’apprenti ». Le ministère du travail souligne que la date à laquelle prend fin la période probatoire n’est pas mentionnée dans le Cerfa, c’est une question de fait qui dépend de l’exécution effective du contrat d’apprentissage compte tenu de l’alternance CFA/entreprise.

Or, cette date est importante car en cas de rupture de contrat au cours de la période probatoire, la participation obligatoire de l’employeur sera de 50 % du niveau de prise en charge pour la période considérée, dans la limite de 750 euros.

De même, si l’employeur conclut un avenant pour changement de CFA alors que la période probatoire n’est pas terminée à la date de ce changement, il doit informer les deux CFA concernés et l’Opco. A défaut d’information par l’employeur, le changement sera présumé se faire après la fin de la période probatoire et la participation incombera au premier CFA, précise le ministère du travail.

Exemples en cas de rupture du contrat d’apprentissage pendant la période probatoire

Le ministère du travail propose plusieurs exemples de rupture du contrat d’apprentissage pendant la période probatoire.

Dans tous ces exemples le niveau de prise en charge est de 8 000 euros.

Rupture du contrat pendant la période probatoire

Le contrat débute le 1er septembre, il est rompu le 15 octobre, soit 45 jours.

Prise en charge sur la durée du contrat = 8 000 / 365 x 45 = 986 euros.

Participation obligatoire de l’employeur plafonnée à 986 x 50 % = 493 euros.

Rupture du contrat pendant la période probatoire lorsque la formation a commencé avant la conclusion du contrat d’apprentissage

Le cycle de formation débute le 1er septembre, mais le contrat d’apprentissage débute postérieurement le 16 octobre et est rompu le 10 novembre.

► Rappelons que cette situation est prévue par l’article L.6222-12-1 du code du travail. Elle permet à un futur apprenti qui n’a pas encore trouvé d’entreprise pour conclure un contrat d’apprentissage de débuter un cycle de formation en apprentissage dans la limite d’une durée de trois mois. Pendant cette période, le futur apprenti bénéficie du statut de stagiaire de la formation professionnelle.

La période préalable au contrat du 1er septembre au 15 octobre n’est pas prise en compte pour calculer l’assiette de la participation de l’employeur. Seule est prise en compte la période d’exécution du contrat d’apprentissage.

Dans cet exemple, la durée d’exécution du contrat d’apprentissage est de 26 jours (du 16 octobre au 10 novembre).

Prise en charge sur la durée du contrat = 8 000 / 365 x 26 = 570 euros.

Participation obligatoire de l’employeur plafonnée : 570 x 50 % = 285 euros.

Exemples en cas de changement de CFA

Changement de CFA au cours de la période probatoire

Le contrat d’apprentissage débute le 1er septembre, la formation en CFA commence le 15 septembre et la date de fin de la période probatoire est le 10 novembre.

Le 8 octobre il est mis fin à la convention de formation avec le premier CFA, le 9 octobre le deuxième CFA prend le relais dans le cadre d’un avenant au contrat et d’une nouvelle convention de formation. Le deuxième CFA assure la formation sur la durée restante du contrat.

Aucune participation obligatoire n’est réclamée à l’employeur par le premier CFA car la période probatoire n’est pas terminée au moment où il est mis fin à la convention de formation.

La participation obligatoire est versée au deuxième CFA à hauteur de 750 euros.

Changement de CFA après la période probatoire

Un contrat d’apprentissage est conclu du 1er septembre N au 31 août N + 2.

Par un avenant, il est acté un changement de CFA à compter du 30 novembre N + 1.

La participation obligatoire de 750 euros a été facturée et payée par l’employeur au premier CFA.

Aucune participation obligatoire n’est versée par l’employeur au deuxième CFA car l’employeur a déjà versé sa participation obligatoire.

Détermination de la participation obligatoire en cas de changement de certification

Cas général

Le ministère du travail rappelle que le changement de certification implique de rompre le premier contrat d’apprentissage et d’en conclure un second visant la nouvelle certification.

Si la nouvelle certification visée prépare un diplôme de niveau bac + 3 ou plus, la participation obligatoire est donc due au titre de ce second contrat au taux plein. En effet, le taux réduit (200 euros) n’est pas applicable car il ne s’agit pas d’un « autre employeur » et il ne s’agit pas de permettre à l’apprenti d’achever son cycle de formation.

Cas particulier des bachelors universitaires de technologie (BUT)

Par exception, en cas de changement de parcours au sein d’une même mention d’un BUT s’inscrivant dans le cadre d’un seul et même cycle de formation, il n’est pas demandé à l’employeur de participer une seconde fois à la prise en charge lorsqu’un nouveau contrat d’apprentissage est conclu :

  • à la suite immédiate de la rupture d’un premier contrat ;
  • entre le même employeur et l’apprenti ;
  • dont la formation est préparée par le même CFA ;
  • lorsque la rupture a été motivée par un changement de parcours au sein d’une même mention d’un BUT.

Dans ces conditions, la participation obligatoire ayant déjà été facturée à l’employeur à l’issue de la période probatoire, il n’est pas exigé une nouvelle contribution au titre du second contrat conclu à la suite du premier qui vient d’être rompu. 

Contrat d’apprentissage saisonnier

Lorsqu’un contrat d’apprentissage saisonnier prévu par l’article L.6222-5-1 du code du travail est conclu conjointement par deux employeurs avec un apprenti. S’il vise deux qualifications professionnelles, le passage de l’une à l’autre n’impose pas de rompre le contrat.

Si la participation obligatoire est applicable du fait de l’une ou l’autre des certifications visées, elle n’est due qu’une fois au titre de cet unique contrat.

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Eléonore Barriot
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Pour tout contrat d’apprentissage conclu depuis le 1er juillet 2025, l’employeur d’un apprenti préparant un diplôme de niveau bac + 3 et plus doit verser une participation financière de 750 euros. Le ministère du travail précise, avec des exemples, les conditions d’application de cette participation financière en cas de rupture du contrat pendant la période probatoire, de changement de CFA ou de changement de certification.
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Dans son rapport annuel publié mardi 15 juillet, la Cour de cassation, comme tous les ans, propose des modifications législatives et réglementaires. 

Cette année, les Sages préconisent de modifier l’article L.1224-3 du code du travail. « La question suivante n’est en effet pas tranchée par ce texte : le refus par le salarié de la proposition de contrat de travail de droit public formulée par un repreneur peut-il ou non être implicite et résulter d’une absence de réponse de sa part ? », détaille la Cour de cassation.  La suggestion législative proposée par les juges consiste à prévoir un délai pour qu’un salarié accepte ou refuse la proposition de contrat de travail de droit public formulée par un repreneur, ainsi que les modalités imposées à l’employeur pour faire connaître ce délai au salarié, et dire si le silence du salarié à l’issue de ce délai vaut acceptation ou refus. 

 

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Florence Mehrez
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Lors de la communication de son plan visant à stabiliser la dette publique, mardi 15 juillet, le Premier ministre, François Bayrou, a annoncé sa volonté de demander aux partenaires sociaux d’ouvrir deux nouvelles négociations interprofessionnelles, les documents de cadrage étant attendus dès fin juillet ou début août. Selon le ministère du travail, les négociations doivent se terminer avant la fin de l’année.

1. L’assurance chômage

La première négociation concerne l’assurance chômage. Il s’agit officiellement d’inciter « à une reprise d’emploi plus rapide » et de « diminuer l’endettement du régime d’assurance chômage ».

Sur le premier point, on peut donc s’attendre à ce que l’exécutif adresse une lettre de cadrage réclamant aux organisations syndicales et patronales une nouvelle réduction des durées d’indemnisation ainsi qu’un durcissement des conditions d’affiliation. Et ce alors que le régime a été durci à plusieurs reprises ces dernières années (voir l’encadré ci-dessous) et que le petit réchauffement du climat entre le gouvernement et les organisations syndicales, après le conflit des retraites, était dû à la volonté de Michel Barnier de ne pas durcir de nouveau l’assurance chômage contrairement à ce que projetait son prédécesseur, Gabriel Attal.

Notons encore que l’effet de ce régime moins favorable pour les demandeurs a été documenté, avec une précarisation de certaines catégories selon l’Unedic depuis la réforme de 2019.

Rappel : depuis le 1er avril 2025, il faut aujourd’hui avoir travaillé au moins 6 mois (soit 130 jours travaillés ou 910 heures travaillées) sur les 24 derniers mois (ou 36 mois à partir de 55 ans) pour prétendre aux allocations chômage. La durée d’indemnisation minimale est de 6 mois et la durée maximale est de 18 mois (22,5 mois pour les 55 et 56 ans et 27 mois pour les 57 ans et plus).

Par comparaison, rappelons qu’avant le 1er novembre 2019, l’indemnisation était ouverte à partir de 4 mois travaillés sur les derniers 28 mois.

 

Le gouvernement souhaite également que les partenaires sociaux s’attaquent aux ruptures conventionnelles.

Au motif qu’il s’agit parfois de démissions ou de licenciements « déguisés » qui font supporter le poids de la rupture à l’assurance collective, la ministre en charge du travail souhaite voir les partenaires sociaux limiter le champ des ruptures conventionnelles.

Le ministère du travail indique que les possibilités de modifier le champ des ruptures conventionnelles sont large : profil de l’employé et de l’entreprise, montant et durée de l’indemnisation, carence, etc. Remarquons que l’instauration de ce mode de rupture amiable avait eu justement pour but de fluidifier les parcours professionnels. 

2. Le code du travail

► La seconde négociation concerne « la modernisation du marché du travail et l’amélioration de la qualité du travail ». François Bayrou semble reprendre ici les ambitions de Gabriel Attal gelées par la dissolution.

Le document du gouvernement évoque quatre objectifs :

  1. fluidifier le marché du travail ;
  2. inciter à travailler plus ;
  3. améliorer la qualité et les conditions de travail ;
  4. renforcer le dialogue social. 

Les point 1 et 2 renvoient à des mesures de flexibilisation déjà proposées par le passé.

Alors que depuis le barème Macron de 2017, les indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse sont plafonnées, Bruno Le Maire, alors ministre de l’économie, avait suggéré en 2024 de ramener le délai permettant à un salarié de contester en justice son licenciement de 12 mois à deux mois. Le rapport de simplification que lui avaient remis des parlementaires recommandait pour sa part de ramener ce délai à six mois. 

Les deux premiers points pourraient aussi prévoir la possibilité d’adapter des aménagements aux contrats de travail (CDD, CDI, CDI de chantier, par exemple) au niveau de l’entreprise, par accord, et non plus seulement au niveau des branches. 

Pour le point 2, « inciter à travailler plus », deux mesures seraient à négocier pour augmenter le temps de travail :

  • une possible monétisation par accord de la 5e semaine de congés payés ;
  • une contribution des entreprises versée à l’Etat en contrepartie de la suppression de deux jours fériés (lundi de Pâque et 8 mai étant pour l’heure les deux jours envisagés).

Après négociation, le point 2 devra, a prévenu le Premier ministre, « aboutir à une réforme structurelle visant à responsabiliser les entreprises sur la prévention et les salariés contre les arrêts abusifs en intégrant la réforme des indemnités journalières » [le gouvernement annonce que sera possible dès 2026 une reprise du travail sans obligation de visite médicale et, pour les arrêts longs, une reprise du salarié après avis de son médecin traitant ou de son médecin spécialiste].

Le troisième point devra traiter d’une meilleure prévention des accidents du travail et maladies professionnelles.

Sur ce point, la ministre du travail, qui souhaite renforcer la culture de la prévention en France, a d’emblée écarté le retour à une instance représentative du personnel dédiée aux conditions de travail comme l’était le CHSCT. Elle souhaite en revanche voir pris en compte le principe de l’écoute professionnelle des salariés. Astrid Panosyan-Bouvet réclame également un meilleur dialogue social de proximité.

Sur ce point 3, les discussions devront aussi porter sur la réduction des temps partiels subis et « responsabiliser davantage les entreprises et les donneurs d’ordre en limitant par exemple les rangs de sous-traitance ».

Selon le ministère du travail, « les entreprises doivent prendre toute leur part dans la prévention des arrêts maladie par l’amélioration des conditions de travail, et les salariés responsabilisés contre les arrêts répétés sans motif sérieux. Comme toute réforme d’ampleur qui touche au travail, les partenaires sociaux doivent se voir proposer une négociation d’abord. Ce sont eux qui sont à même de trouver les meilleures solutions. Cela fera donc partie du document d’orientation d’un chantier plus général destiné à permettre de fluidifier le marché du travail et à améliorer la qualité du travail ».

S’agissant du 4e point, un renforcement de la négociation dans les TPE-PME serait au menu des discussions. On peut se demander s’il s’agit ici des dérogations de branche évoquées dans le rapport parlementaire sur la simplification ou, plus largement, de nouveaux champs confiés à la négociation de branche et d’entreprise.

Un autre sujet devra être discuté, celui d’un abaissement du seuil rendant obligatoire la représentation des salariés dans les conseils d’administration [actuellement, en France, ce seuil est de 1 000 salariés, contre 500 en Allemagne où ils sont par ailleurs plus nombreux. Dans son rapport sur le management à la française l’inspection générale des affaires sociales (Igas) préconisait de se rapprocher du modèle de cogestion à l’allemande en « réévaluant la représentation des salariés dans les conseils d’administration et les conseils de surveillance].

Pour finir, notons  qu’une négociation sur le dialogue social pourrait aussi comprendre les discussions qu’avaient prévues, mais sans les programmer, les partenaires sociaux au sujet de la valorisation des parcours syndicaux. 

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Bernard Domergue
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François Bayrou et sa ministre en charge du travail, Astrid Panosyan-Bouvet, vont demander aux partenaires sociaux de réviser l’actuelle convention de l’assurance chômage et de réformer de nouveau le code du travail.
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Vous dressez un constat connu, celui selon lequel les salariés souffrent de trois motifs d’insatisfaction : le manque de revalorisation salariale, de reconnaissance et de perspectives d’évolution professionnelle avec, en outre, un travail de plus en plus pathogène. Que proposez-vous pour remédier – enfin – à cette situation ?

Franck Morel : Au travers de ces trois sources d’insatisfaction, c’est un sentiment d’impasse qui s’exprime et qui trouve sa source dans un certain nombre de mécanismes qui entravent les possibilités qu’auraient les entreprises d’y répondre pleinement. Il existe des leviers liés aux politiques publiques et des leviers liés au management dans les entreprises. Au sein des politiques publiques, on constate actuellement une surtaxation du travail et des mécanismes qui, ajoutés les uns aux autres, créent des phénomènes de trappes à bas salaire : les charges fiscales et sociales sur le travail, le coût marginal d’une augmentation avec l’impact des allégements de charges sociales sur les bas salaires, les effets de la prime d’activité qui crée un phénomène d’enfermement dans les bas salaires ainsi que le Smic. Tout cela additionné fait « mauvais système » et aboutit à empêcher de donner pleinement des perspectives professionnelles et entrave la possibilité d’organiser des évolutions salariales.

Le manque de reconnaissance, quant à lui, renvoie plus largement aux pratiques d’entreprises.

Quelles sont justement les marges de progression du management français récemment pointé du doigt par l’Igas ? 

Bertrand Martinot : Le management est sujet sur lequel nous sommes mal à l’aise en France car nous avons tendance à tout attendre de l’Etat. Or, s’il y a bien quelque chose qu’on ne peut pas modifier par décret, ce sont bien les pratiques managériales. Une partie du caractère pathogène du travail, que nous soulignons dans notre ouvrage, relève en partie d’un management toxique.

Quant aux managers intermédiaires, ils n’ont souvent pas les ressources nécessaires – managériales, financières, et organisationnelles. Certaines entreprises additionnent une qualité déficiente des relations du travail – qui ne se résument ni aux questions juridiques ni aux conditions de travail – et des managers qui subissent des injonctions contradictoires. Nous déplorons aussi de trop nombreux process RH vécus par les salariés et les managers comme une perte de temp – dans le meilleur des cas – et comme un « alibi ».

A contre-rebours des pratiques RH, vous critiquez le développement des soft skills

Bertrand Martinot : On observe une dérive, la tendance à la « psychologisation » dans le management. On juge les salariés pour ce qu’ils sont et non pas pour ce qu’ils font. Plutôt que d’avoir un cadre très professionnel où on évalue les salariés sur des critères objectifs, certaines entreprises valorisent le comportement du salarié. Il y a un certain discours managérial, souvent éloigné du terrain, qui ne se rend pas compte que le cœur battant des RH ce sont des capacités techniques à faire, à produire, à innover, à résoudre des problèmes que ce soit dans l’industrie ou dans les services.

De la même manière, ce qu’on attend d’un manager c’est qu’il fasse preuve d’autorité – à ne pas confondre avec l’autoritarisme – qu’il prenne ses responsabilités, qu’il soit exemplaire et non pas qu’il soit « bienveillant » en acceptant toutes les demandes de son équipe.

Selon vous, un bon management est un management qui justifie ses décisions. Prenons l’exemple du télétravail qui agite nombre d’entreprises qui souhaitent le réduire. Que pensez-vous des débats actuels ?

Franck Morel : Des entreprises veulent revenir sur certaines pratiques qu’elles jugent – à tort ou à raison – abusives car posant des problèmes d’efficacité, de productivité, de cohésion des équipes. Aujourd’hui, nous sommes dans une phase de développement du télétravail où l’on ne peut pas revenir à la situation pré-Covid mais où les acteurs sont à la recherche d’un équilibre entre le fait que dans un certain nombre de situations le télétravail est une forme d’organisation du travail qui peut être intéressante par sa fluidité, sa souplesse mais peut aussi peut poser des problèmes d’organisation liés à un contrôle beaucoup plus distendu et à un lien au collectif qui n’est pas le même que lorsqu’on est en présentiel. 

Bertrand Martinot : Si vous imposez aux salariés de moins télétravailler ou d’être là le jeudi par exemple, alors que leurs équipe n’est pas là ou que même en présentiel vous organisez des visio-conférences avec les autres salariés qui sont dans le même bâtiment, ces derniers peuvent valablement se poser des questions. En revanche, si les salariés comprennent que ces interactions sont nécessaires pour la cohésion de l’équipe, qu’une dynamique se crée et qu’ils comprennent que ça se passerait moins bien si chacun était isolé en télétravail, alors la décision apparaîtra justifiée. La question du télétravail n’est pas si différente de l’ensemble des questions managériales qui parfois aboutissent à des situations incomprises voire parfois absurdes.

Vous rouvrez la question de la durée du travail, comme l’a fait d’ailleurs très récemment François Bayrou. Que proposez-vous ?

Bertrand Martinot : Nous ne proposons pas d’obliger à travailler plus, mais de faire en sorte que tout notre système réglementaire et d’incitations financières arrêtent de pénaliser l’augmentation du temps de travail mais au contraire la favorise. Il faut retirer un certain nombre de verrous et réorienter une partie des allégements de charges de manière à ce qu’augmenter le temps de travail ne pèse pas sur l’employeur. Les allègements de charge seraient plus faibles pour les entreprises qui restent à 35 heures.

Franck Morel : Si on considère qu’il existe un objectif politique d’intérêt général dans notre pays dans le fait de travailler collectivement plus pour produire plus de richesses, contribuer à financer notre modèle social et améliorer le pouvoir d’achat – ce qui est notre cas – il faut alors rendre l’augmentation du temps de travail désirable, souhaitable et profitable. Quel est l’utilité par exemple aujourd’hui du contingent d’heures supplémentaires ?  Ce n’est plus qu’un signal contre-productif. Il existe déjà des normes pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs. Autre exemple : un quart des salariés sont à temps partiel contraint et, à côté de cela, nous disposons dans notre droit du travail de trois plafonds d’heures complémentaires.

Vous êtes d’ailleurs assez critiques sur la semaine de/en quatre jours

Franck Morel : La difficulté c’est de présenter cela comme la nouvelle panacée qui doit s’appliquer partout et pour tous.

Bertrand Martinot : Attention à ce que cela n’aboutisse pas, comme les 35 heures, à une intensification du travail. Si localement il existe des partenaires sociaux et une entreprise dont le modèle économique s’y prête, qui fait des marges très importantes et qui peut en utiliser une partie pour baisser le temps de travail et un salaire inchangé, alors qu’ils le fassent.

Le compte épargne-temps universel n’était pas non plus à votre goût

Franck Morel : Le compte épargne-temps universel [le Cetu] consistait à bâtir un dispositif dans lequel on demandait aux entreprises de contribuer à sa gestion tout en envoyant aux salariés un signal selon lequel ils pouvaient l’utiliser pour réduire leur temps de travail alors qu’on a besoin de travailler plus collectivement ! Si l’objectif est de favoriser la fluidité entre temps de formation et temps de repos, entre temps de repos et congé ou argent, on peut le faire sans le Cetu. Permettons par exemple de monétiser une semaine de congés payés par accord individuel entre employeur et salarié. Il n’y a pas besoin de Cetu pour cela. Nous le proposons et le proposions déjà en 2016 dans notre précédent ouvrage commun. L’idée avance !

Vous souhaitez également permettre aux branches professionnelles de pouvoir influer davantage sur le pouvoir d’achat des salariés

Franck Morel : Il faut poursuivre l’élargissement du champ de la négociation collective d’entreprise en particulier, mais aussi de branche. Nous proposons d’ailleurs de confier à la négociation de branche le soin de fixer totalement les minima salariaux comme c’est le cas dans cinq pays d’Europe. Actuellement, les pieds de grille salariales sont mangés par les évolutions du Smic et ferment la possibilité pour les branches d’organiser des parcours professionnels en début de carrière.

Cela ne nous semble pas illégitime que des branches où existent des tensions de recrutement, des conditions de travail plus difficiles, où l’on cherche à attirer des talents, où l’on a un problème au milieu de la grille de classifications, puissent décider de minima différents d’un secteur d’activité à l’autre. Nous proposons même aux branches de prendre en considération les différences territoriales du coût de la vie, c’est-à-dire de permettre de rajouter dans les minima un étage qui serait une indemnité de résidence sur le modèle de ce qui existe dans la fonction publique.

Vous estimez aussi que la RSE ne doit pas être la priorité des entreprises, surtout en considération de votre constat de départ sur l’insatisfaction des salariés

Bertrand Martinot : Si la RSE consiste pour l’entreprise à jouer un rôle social, voire sociétal pour accompagner les politiques publiques, faire des partenariats public/privé, développer des fondations, c’est très bien. En revanche, si la RSE consiste à développer une culture d’entreprise qui vise à compenser le fait que les conditions de travail sont mauvaises et les rémunérations faibles, ce discours est alors toxique.

Franck Morel : Les entreprises doivent veiller à éviter trois écueils en matière de RSE : l’instrumentalisation, le communautarisme et les contradictions. Si on est en revanche dans un engagement sincère qui vise à donner du sens en adéquation avec l’activité de l’entreprise évidemment alors que c’est quelque chose qu’il faut encourager.

Bertrand Martinot : Un salarié a besoin avant tout d’un salaire correct, d’être reconnu pour son métier, que son métier ait un sens, d’avoir des perspectives d’évolution professionnelle, c’est ça que doit produire une entreprise. 

 

(*) « Le travail est la solution : réconcilier les Français avec le travail », Bertrand Martinot et Franck Morel, Editions Hermann, juin 2025.

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Florence Mehrez
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Bertrand Martinot, économiste et consultant RH, et Franck Morel, avocat, tous deux experts associés à l’Institut Montaigne viennent de publier un ouvrage « Le travail est la solution » (*) qui dessine des pistes de réforme pour permettre aux salariés de travailler plus dans de bonnes conditions de travail et salariales. Interview.
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